Le Songe du Vergier une compilation juridique au service du Pouvoir au XIVe siècle
Evrart de Trémaugon et le Songe du Vergier de Marion Schnerb-Lievre
Analyse du Songe du Vergier de Léopold Marcel de Louviers
Les sources du chapitre sur l'impôt dans le Somnium Viridarii de Lydwine Scordia
LES SOURCES DU CHAPITRE SUR L'IMPÔT DANS LE SOMNIUM VIRIDARII*
Lydwine Scordia
Dans le Somnium Viridarii, un clerc de « profonde science » et un chevalier « merveilleusement doué » disputent avec vivacité de la définition du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. L'artifice du dialogue, l'argumentation savante et parfois ironique du clerc et du chevalier ne font pas oublier que le Somnium Viridarii est une commande du roi Charles V au docteur in utroque Évrart de Trémaugon. Commencé en 1374, le travail est terminé le 16 mai 1376.
En 1877, un érudit allemand, Carl Müller, démontre que le Somnium est une compilation de textes politiques sur les rapports entre les deux pouvoirs(1). Dans l'édition du Somnium Viridarii, en 1993, Marion Schnerb énumère toutes les sources identifiées depuis plus d'un siècle. Environ la moitié des chapitres du Somnium ont trouvé leur source. Pour l'autre moitié, Marion Schnerb pose l'hypothèse que certains d'entre eux soient des chapitres originaux d'Évrart de Trémaugon(2).
Le chapitre sur l'impôt (I, CXL) fait partie de ces nombreux chapitres dont la source n'a pas été identifiée(3). À l'époque de la rédaction du Somnium, l'impôt est à la fois l'objet d'une réflexion de fond déjà ancienne, et un sujet d'actualité. La nécessité de payer la rançon du roi et de lutter contre les Compagnies a rendu possible la mise en place, en moins de dix ans (1360-1369), d'un système fiscal fondé sur les taxes indirectes et sur un impôt direct, appelé fouage(4). L'établissement de ces impôts relance le débat sur les conditions de sa légitimité. Ce chapitre est donc une sorte de traité sur le droit royal d'imposer(5). Dans le Somnium Viridarii, l'impôt est "mis en question", selon l'heureuse formule de Françoise Autrand(6). Le clerc demande de quel droit le roi lève l'impôt. N'est-ce pas un acte de tyrannie(7) ? Le chevalier répond longuement, pèse le pour et le contre, et définit les conditions de la légitimité de l'impôt(8).
Mon travail de thèse sur "la théorie et la psychologie de l'impôt en France du XIIIe au XVe siècle" m'amène à étudier les quodlibets des maîtres en théologie de la faculté de Paris. La réponse à une question posée en 1287 au franciscain Richard de Middleton m'a fortement rappelé le chapitre sur l'impôt du Somnium, ou plus exactement, étant donné les 89 ans séparant les deux textes, le chapitre du Somnium ressemblait au quodlibet de Richard de Middleton. Or Richard n'apparaît pas nommément dans le texte du Somnium. Il s'agissait donc d'un emprunt, d'un démarquage(9). De plus, Richard de Middleton n'avait pas été répertorié comme source du Somnium. Le travail de confrontation des deux textes devait commencer, ainsi que la recherche d'un lien éventuel entre le franciscain Richard de Middleton et le conseiller et maître des requêtes de l'Hôtel, Évrart de Trémaugon.
I. Confrontation du quodlibet de Richard de Middleton et du Somnium Viridarii
La parenté des deux textes est très forte : Évrart de Trémaugon a repris quasiment mot à mot le quodlibet de Richard. Une comparaison attentive fait néanmoins apparaître quelques différences de composition, de vocabulaire et de ton entre les deux documents(10).
Le chapitre sur l'impôt succède, dans le Somnium Viridarii, au long débat sur les pouvoirs respectifs du pape et du roi. Le clerc lance alors la discussion sur des sujets divers, comme l'usure, le divorce, le duel, la guerre, la noblesse, puis il en vient à parler de la tyrannie du roi. Le chevalier rejette l'accusation : le roi est un prince savant, ami des livres, il ne peut donc pas être un tyran. Le clerc fonde alors l'accusation de tyrannie sur la levée de l'impôt.
La construction de la réponse du chevalier dans ce chapitre sur l'impôt (I, CXL) contraste avec la forme habituelle des autres chapitres. En effet, tout au long du Somnium, alternent chapitre après chapitre le clerc et le chevalier qui s'opposent : l'un est pour, l'autre est contre. Dans le chapitre qui nous intéresse, la composition est plus complexe,car le chevalier énumère lui-même les arguments pour et contre l'impôt. Deux raisons peuvent expliquer cette structure binaire : l'une de fond, l'autre de forme. La première tient au sujet : l'impôt est un problème politique et religieux, épineux, qui ne supporte pas un traitement monolithique, d'où les précautions du chevalier. La seconde raison provient de la source même du chapitre. En effet, la question de quodlibet est un type de quaestio où le maître répond à une question posée, argumente sic et non, pour et contre, puis conclut(11). À la question posée, en 1287, à Richard : "Les sujets sont-ils tenus de payer des taxes nouvelles imposées par leurs seigneurs temporels, qui ne tournent qu'à leur intérêt ?", le maître en théologie a répondu pour, contre, puis a fait une synthèse(12). L'impôt est donc littéralement "misen question" dans ce chapitre du Somnium !
On remarque aussi que, dans le Somnium, l'accusation de tyrannie est formulée par le clerc ; c'est le chevalier qui justifie le pouvoir fiscal du roi sous certaines conditions. Le chevalier reprend donc la réponse faite par le franciscain Richard de Middleton à une question posée par un étudiant ou un autre maître. Il y a ici une inversion intéressante : c'est le chevalier qui fait sienne la réponse du franciscain Richard, et non le clerc. Une fois de plus, on peut constater que, loin d'appartenir à deux mondes distincts, les théologiens et les juristes partagent une même culture commune(13).
La réflexion menée par les théologiens et les juristes porte sur la légitimité et sur les conditions de la levée de l'impôt. "Savoir, c'est connaître les causes"(14). Les scolastiques transposent la théorie des quatre causes d' Aristote au domaine législatif, et plus particulièrement fiscal. L'impôt est juste s'il est établi selon quatre conditions qui l'ordonnent au bien commun : la causa materialis (assiette, sur qui pèse l'impôt), la causa formulis (la mesure de l'impôt), la causa efficiens (qui impose) et la causa finalis (dans quel but).
Le quodlibet énumère ici la causa materialis, la causa efficiens et la causa finalis. La légitimité dépend d'abord du statut des personnes "aut servi aut liberi"(15). Les serfs sont taxés quelles que soient la cause et la puissance fiscale, car ils appartiennent au seigneur(16). Pour les hommes libres, tout dépend de la causa efficiens et de la causa finalis. Richard distingue alors le roi ou le prince et les seigneurs inférieurs. Ces derniers ne peuvent taxer les sujets libres car s'ils agissaient ainsi, ils sortiraient de leur juridiction. De plus, les seigneurs ne peuvent pas taxer sans le consentement, non des sujets, mais du roi ou du prince(17). En revanche, le roi ou le prince peut imposer ses sujets à condition que la cause soit juste. Au monopole fiscal du roi succède donc l'énumération des justes causes : la défense du royaume et de la foi, la captivité du roi, la perte injuste d'une terre(18). Le roi énergique qui défend son droit face à ses ennemis, grâce aux moyens militaires procurés par l'impôt, est d'autant plus aimé de ses sujets et craint de ses ennemis(19). Le Somnium recopie également toute la fin du quodlibet de Richard sur l'aide réciproque entre le roi-tête et les sujets-membres du corps du royaume. De même, le chevalier du Somnium reprend à son compte l'intéressant développement de Richard sur la nécessité de se constituer un trésor pour prévenir une invasion et impressionner les adversaires(20). Il conclut cependant sa réponse par ce lieu commun politique : le véritable trésor du roi est l'amour de ses sujets qui vaut mieux qu'or et argent(21).
Évrart de Trémaugon a suivi fidèlement l'esprit et la lettre du quodlibet sans jamais en nommer l'auteur. On note çà et là quelques omissions. Le Somnium n'a pas recopié le début du quodlibet, c'est-à-dire la brève argumentation "pour" payer les taxes nouvelles dont la source est l'argument d'autorité : "Obéissez à vos maîtres"(22). En revanche, le chevalier se fait l'écho de toute l'argumentation "contre" du quodlibet. Les autres omissions sont des détails : le Somnium n'a pas recopié l'exemple du serf en fuite qui entre dans les ordres (§ 4)(23), ni la comparaison que fait Richard entre le pouvoir fiscal des princes et celui des prélats (§ 4). Le Somnium omet d'ajouter la réfection des ponts et des routes dans la liste des causes justifiant l'impôt (§ 6), et oublie les proches amis capturés (§ 6). La tristesse des sujets dont le royaume est envahi, développée par Richard, est sous-entendue dans le Somnium (§ 6). La modération des charges est décrite plus longuement dans le quodlibet (§ 6), ainsi que l'amour des sujets pour le roi (§ 9). En définitive, les différences de fond sont secondaires. En revanche, le ton est plus vif dans le Somnium. L'expression est plus concise que dans le quodlibet, où Richard multiplie les périphrases.
Le vocabulaire diffère peu. Un mot, cependant, retient notre attention : salvaria. Au premier paragraphe du chapitre CXL du Somnium, le chevalier énumère les différents impôts que l'empereur ou le roi ont le droit de lever : "pedagia, guidagia et salvaria". Or le quodlibet de Richard disait : "pedagia, satinaria, guidagia » (§ 5). Comment expliquer cette variante salvaria/salinaria ? Les mots pedagia et guidagia désignent des taxes de péages et salinaria est un impôt sur le sel. Le mot salvaria désigne un réservoir à poissons. La consultation des différents manuscrits du Somnium donne les résultats suivants :
- Le manuscrit de référence Mazarine 3522, f. 30v, dit effectivement "pedagia, guidagia et saluaria"
- Le BNF, lat. 3459A, cité comme variante par Marion Schnerb, f. 113, note "pedagia, et salua" guidagia est rajouté au-dessus entre pedagia et saluaria
- Le BNF, lat. 3180C, variante également utilisée pour l'édition du Somnium, diffère ; on lit au f. 91 : "pedagia, guidagia et salinaria"(24).
La comparaison des manuscrits donne donc les deux orthographes. Deux orthographes ou deux mots différents ? L'énumération de ces impôts appartient à un extrait de la Decrétale de Grégoire IX, De verborum, qui dit bien salinaria(25). Le sens de la phrase invite donc à corriger l'erreur du copiste de Mazarine 3522 et à lire salinaria et non salvaria, au paragraphe 1, du chapitre CXL du Somnium. Les autres différences de vocabulaire ne sont peut-être pas secondaires : accipere est remplacé par implorare (Richard, § 6, Somnium, § 11 bis) ou date remplacé par concesse (§ 8, § 13).
Les paragraphes 9 à 1 3 du chapitre CXL du Somnium Viridarii et une partie du paragraphe 1 trouvent donc leur origine dans le quodlibet de Richard de Middleton. Les sources citées sont les mêmes : Aristote (Richard § 4, Somnium § 9), le droit canon (les Decrétales, Richard § 4, Somnium § 9), le droit civil (le Code, Richard § 5, Somnium § 10 et le Digeste, Richard § 5, Somnium § 10). Cette similitude établie nous entraîne logiquement à rechercher le lien existant entre Évrart et Richard, en essayant d'identifier plus précisément ce maître en théologie de l'ordre des franciscains.
II. Comment faire le lien entre Richard de Middleton et Évrart de Trémaugon ?
Les notices biographiques sur Richard de Middleton s'accordent à dire qu'on sait peu de choses sur ce théologien franciscain(26). Il est vrai que les questions et les hypothèses sur sa vie sont plus nombreuses que les certitudes. Richard a cependant laissé une œuvre diverse et attestée. Peut-être faut-il s'intéresser à ses œuvres plutôt que de répéter des éléments biographiques peu sûrs.
Richard de Middleton est un franciscain qui a suivi son cursus universitaire à Paris. Il compose son commentaire des Sentences vers 1284(27). L'étude de ce commentaire révèle la familiarité de Richard avec la science juridique canonique et civile. Les réticences des franciscains à l'égard de l'enseignement du droit semblent donc être lettre morte, à la fin du XIIIe siècle. Richard est alors choisi par le ministre général Bonagratia pour faire partie d'une commission de sept théologiens chargée d'examiner les écrits de Pierre Jean Olivi(28). Richard devient maître en théologie en 1284 et enseigne à Paris de 1284 à 1287. Les énoncés des 45 questions disputées et des 3 quodlibets montrent une dominante des sujets théologiques spéculatifs sur des questions controversées(29), non dépourvues d'incursions dans l'actualité religieuse et politique de la fin du XIIIe siècle. Ainsi, les questions sur la confession témoignent de la querelle entre les Mendiants et les Séculiers(30). D'autre part, la question 27 du quodlibet III montre l'attention portée par les magistri à la question de l'impôt sous Philippe le Bel. Une lettre du 20 septembre 1295 mentionne son élection comme ministre provincial de France au chapitre de Metz(31). Le nécrologe du couvent d'Auxerre le dit décédé le 30 mars 1300 à Reims(32).
De nombreux manuscrits attestent la diffusion de ses œuvres : on compte 31 manuscrits de son commentaire des Sentences et 27 manuscrits de ses quodlibets(33). Son commentaire des Sentences est recommandé aux étudiants en 1304(34).
Ces éléments biographiques suffisent-ils à établir un lien entre les deux textes ? Le dernier volet de cette recherche consiste maintenant à essayer de trouver des éléments permettant de combler le fossé entre le quodlibet de Richard en 1287 et le texte du Somnium en 1376. On peut retenir trois hypothèses pour expliquer le cheminement du quodlibet :
1) Premièrement, Richard est la source directe du Somnium. Les similitudes entre les textes des manuscrits BNF, lat. 14305 et Mazarine 3522 peuvent le laisser penser. Mais dans ce cas, pourquoi Richard n'est-il pas cité par Évrart de Trémaugon ? Il est vrai que ce dernier ne donne pas systématiquement ses sources. Il cite cependant clairement le quodlibet de Jacques de Viterbe, au chapitre LXXVII du livre I(35). Si l'on retenait le quodlibet comme source directe du Somnium, il faudrait identifier le manuscrit sur lequel a travaillé Évrart. Les Recherches sur la librairie de Charles V ne font pas apparaître le nom de Richard de Middleton(36). Évrart a-t-il travaillé sur une compilation "démarquée" ?
Richard.......Somnium
Concluons provisoirement sur la possibilité théorique de ce schéma, sans pouvoir, pour l'instant, en apporter la preuve.
2) Dans la deuxième hypothèse, on pourrait concevoir que Richard reprenne une source antérieure, et qu'il devienne lui-même le chaînon manquant, voire que cette source antérieure inspire directement le Somnium.
A) X.......Richard....... Somnium
ou B) X....... Somnium
On peut retenir l'hypothèse A. En effet, comme tout bachelier, Richard, on l'a vu, a commenté le livre des Sentences. Or, la question 27 du quodlibet III s'inspire de son commentaire de la distinction 44 du Livre II, art. 3, q. I(37). Le développement sur la condition des personnes aut servi aut liberi s'y trouve, ainsi que la définition du monopole fiscal du roi. Les citations sont les mêmes et soutiennent les mêmes thèmes. Le commentaire des Sentences du bachelier Richard de Middleton est une ébauche de la réponse du maître en théologie, à la question posée en 1287. Ce constat enrichit notre recherche mais ne fait qu'agrandir le fossé séparant la source de son utilisation : ce ne sont plus 89 ans (1287-1376) mais 92 ans (1284-1376) qu'il faut compter entre le commentaire des Sentences et le Somnium !
3) La troisième hypothèse est la plus délicate, puisqu'elle consiste à chercher le ou les intermédiaires entre Richard et le Somnium.
Richard.......X....... Somnium
Pour trouver X, j'ai croisé plusieurs paramètres. Évrart de Trémaugon s'est visiblement intéressé aux écrits des franciscains : Guillaume d'Occam, Michel de Césène et maintenant Richard de Middleton. C'est dans ce vivier de franciscains théologiens, décrétalistes, que j'ai trouvé l'intermédiaire en la personne d'Astesanus d'Asti, docteur in utroque, comme Évrart de Trémaugon et, comme lui, formé à Bologne(38). Originaire d'Asti dans le Piémont, il reçoit ses grades à l'école canonique de Bologne vers 1275. Il enseigne alors à Gênes et meurt en 1330(39). En 1317, il compose la Summa de casibus conscientiae qui est un manuel de casuistique destiné aux confesseurs. Dès la fin du XIIe siècle, ces recueils donnent aux confesseurs les connaissances nécesaires à l'exercice de leur ministère. Les manuels les plus célèbres sont ceux de Raymond de Penyafort et de Jean de Fribourg. Dans le sien, Astesanus compile tout ce qu'il juge intéressant chez ses prédécesseurs et il cite ses sources. Il s'appuie sur les auctoritates des Écritures et des Pères, les rationes des théologiens de la faculté de théologie de Paris comme Richard de Middleton et sur les jura des grands décrétalistes et civilistes du XIIIe siècle. La Summa est une œuvre très volumineuse partagée en huit livres. L'extrait qui nous intéresse appartient au livre I qui énumère les commandements, ce qui permet de faciliter l'examen de conscience. Dans l'article 4 du titre 31 intitulé De pedagiis, un passage emprunte, en la citant, la question 27 du quodlibet III de Richard(40). Dans le proemium, Astesanus donne la liste des auteurs utilisés, parmi lesquels se trouve le nom de "Ric." qui n'est autre que Richard de Middleton.
La citation nominative de Richard dans la Summa nous rapproche donc de trente ans du Somnium et réduit le fossé à 59 ans. Le cheminement peut ainsi être établi : il combine les hypothèses 2A et 3 :
Commentaire des Sentences de Richard.......quodlibet de Richard....... Astesanus copie Richard ....... Somnium Viridarii
La comparaison des textes est probante : les quelques différences de constructions que l'on avait notées entre le quodlibet et le Somnium disparaissent, en particulier l'inversion roi-seigneur inférieur que l'on avait observée entre le quodlibet et le Somnium(41).
Une question demeurait : le fait qu'Astesanus ait copié Richard ne prouvait pas pour autant qu'il était le seul intermédiaire entre Richard et le Somnium. Il pouvait très bien s'agir d'une utilisation parmi d'autres de ce quodlibet. Or la lecture de la Summa Astensis m'a amenée à constater que la citation du quodlibet de Richard y était précédée d'un développement qui ressemblait fortement aux paragraphes 2 à 8 du même chapitre sur l'impôt du Somnium, paragraphes dont la source n'était pas encore identifiée ! Ainsi, la recherche de l'intermédiaire m'a conduite à trouver le chaînon manquant entre Richard et le Somnium, et à identifier la source du paragraphe 2 bis, d'une partie du 2 ter, du 3, et des paragraphes 4 à 8 qui s'ajoutent donc aux paragraphes 1, 9 à 13 évoqués plus haut.
III. Du compilateur Astesanus à la découverte d'une nouvelle source du Somnium : Raymond de Penyafort
Astesanus est un compilateur, qui, à la différence d'Évrart, cite ses sources. Le passage en question regorge de références nominatives abrégées : "Bern.", "Hosti.", "Ray.", "Inno." et "Rod."(42). La source des paragraphes 2 à 8 du chapitre CXL du Somnium est Raymond de Penyafort. Ce dominicain bien connu n'était pas jusqu'alors répertorié dans les sources du Somnium. Le chapitre sur l'impôt reprend, par Astesanus interposé, des extraits de la célèbre Summa de casibus poenitentiae rédigée vers 1220-1221(43).
Cette somme de casuistique innove par l'importance donnée au droit canonique. En effet, sur les 24 rubriques des deux premiers livres, 23 ont le même titre que des rubriques des recueils de decrétales(44). Raymond fait l'exposé des différents cas possibles et donne les solutions qu'offrent les principes et les textes de droit canonique. L'acte du fidèle est jugé en fonction des mobiles, de l'intention et des circonstances. Cet appel à la conscience du pécheur désigné comme le « for pénitentiel ». À la loi divine se substituent les textes de droit positif qui, bien sûr, expriment la loi divine mais accentuent le caractère juridique des prohibitions(45). L'analyse des similitudes et de la filiation entre Raymond de Penyafort et le Somnium fait rebondir la recherche, en abîme.
Les passages copiés dans la Summa de casibus poenitentiae sont extraits du livre II, titre 5 De raptoribus, praedonibus et incendariis, paragraphes 13 et 15. Le livre II est consacré aux péchés envers le prochain. Ces passages apportent au Somnium la liste plus précise des cas pratiques justifiant l'impôt : la défense du bien public contre les bandits et les pirates, la défense de la foi contre les païens et les hérétiques (§ 2 bis), les quatre cas (§ 5-6)(46), le cas de l'injuste guerre (§ 8). Raymond de Penyafort développe le thème de la restitution : il y a péché si le seigneur taxe sans juste cause (§ 2), le prince doit alors faire une restitution (§ 2 ter). En effet, le roi doit restituer si l'impôt est dissipé pour l'achat de vêtements et la construction de bâtiments (§ 7). Le Somnium ajoute-t-il les châteaux "inutiles et coûteux" à l'intention du roi Charles V ? Si la restitution estimposible ou difficile, le roi doit, in foro penitencie, ajoute le chevalier du Somnium (§ 2 ter) qui s'est bien imprégné de la pensée du casuiste, abolir en compensation une taxe dont les sujets relèvent tous : le fouage.
Les similitudes et les différences entre les textes nous permettent d'esquisser la méthode de travail suivie par Astesanus. Ce dernier dispose principalement des manuscrits du quodlibet III de Richard de Middleton, de la Summa de casibus poenitentiae de Raymond de Penyafort, des Commentaria in quinquee Decretalium d'Hostiensis(47). Astesanus passe d'un texte à l'autre. Il semble pourtant difficile de considérer Hostiensis comme une source du Somnium, puisque le cardinal d'Ostie s'inspire lui-même de Raymond de Penyafort dans les passages en question(48).
Astesanus opère quelques coupures dans le texte de Raymond, et l'on retrouve ces mêmes omissions dans le Somnium. Leur analyse n'est pas inutile : la plus intéressante est probablement la justification de l'impôt pour la défense de la patrie, qui est beaucoup plus développée dans la Summa de casibus poenitentiae que chez Astesanus(49).
Le chapitre I, CXL du Somnium Viridarii a donc deux sources distinctes : un extrait de la Summa de casibus de Raymond de Penyafort et une question de quodlibet de Richard de Middleton. Ces deux sources ont été compilées par Astesanus dans sa Summa. La recherche du chaînon manquant nous entraîne à envisager une quatrième hypothèse. Elle additionne les hypothèses 2A et 3 pour donner le schéma 4 :
Summa de Raymond.......
Quodlibet de Richard.......
Astesanus compile Raymond et Richard....... Somnium Viridarii
Astesanus apparaît comme le vraisemblable intermédiaire car, à plusieurs reprises, c'est sa compilation de Raymond et de Richard qui inspire le Somnium pratiquement mot à mot(50). De plus, Évrartreproduit non seulement les thèmes mais le plan de la Summa Astensis, qui recopie d'abord Raymond puis Richard(51).
Pourquoi le Somnium n'a-t-il cité ni Raymond de Penyafort ni Richard de Middleton, pourtant précisément nommés par Astesanus ? Se peut-il qu'Évrart de Trémaugon ne parvienne pas, lors de sa rédaction en 1374-1376, à reconnaître Raymond de Penyafort et Richard de Middleton dans le "Ray(mundus)" et le "Ric(hardus)" indiqués par Astesanus ? "Les textes s'écrivent les uns dans les autres"(52). Évrart copie un compilateur. Cette répétition ne doit pas faire illusion, elle n'est pas répétition servile. Les infléchissements, les omissions et surtout le changement du contexte montrent l'évolution de la pensée de 1220 à 1376 et font paradoxalement de la compilation des compilations, une œuvre originale.
La similitude du quodlibet et du Somnium nous a permis de constater l'art de la compilation des auteurs médiévaux, qui empruntent sans cesse aux prédécesseurs pour pondérer leur réflexion. La majeure partie du chapitre CXL du Somnium sur l'impôt a donc trouvé sa source dans un extrait de la Somme de Raymond de Penyafort et dans un quodlibet de Richard de Middleton, tous deux compilés par Astesanus dans son manuel de casuistique. Deux théologiens fortement imprégnés de droit se trouvent être les sources d'un des chapitres les plus politiques du texte commandé par Charles V. Par ailleurs, cette contribution à la recherche des sources du Somnium est un exemple de l'influence de la scolastique sur une œuvre politique.
Seules les sources des paragraphes 2 suite et une partie du 2 ter n'ont pas été identifiées. Concentrons notre attention sur le paragraphe 2 ter, car le paragraphe 2 suite est un topos sur le thème de la clameur des pauvres. Plusieurs éléments nous permettent d'avancer que la plus grande partie du paragraphe 2 ter est originale. Des références au contexte historique contemporain et un ton nettement plus personnel apparaissent dans ce paragraphe. Dans ce passage du Somnium qui n'a pas été traduit dans le Songe du Vergier, le chevalier fait allusion à la déposition d'un prince qui ne rendrait pas la justice dans une partie du royaume. Pense-t-il aux appelants d'Aquitaine ? Le chevalier continue : un tel prince ne peut lever l'impôt, et s'il le fait, il doit restituer. Si, par amour ou par crainte, le peuple hésitait à déposer le prince, et si la restitution était impossible, le prince devrait, en compensation, enlever à son peuple une servitude dont ils relèvent tous : le fouage ! Le mot fouage est important ; en effet, l'assemblée des États de Langue d'oïl décide de lever, en 1363, des impôts qui doivent être permanents jusqu'à ce que la totalité de la rançon du roi Jean le Bon soit réunie. Un de ces impôts est perçu sous forme d'un fouage. Le fouage va contre la raison, et il est injuste, dit le chevalier qui oublie un moment ses habituels arguments juridiques, pour s'appuyer sur la réalité, ou la prétendue réalité de la vie. Le chevalier parle alors à la première personne : "vidi" :" j'ai vu". En trois arguments, il dénonce le fouage par des arguments conjoncturels. Il raconte l'histoire du collecteur de fouage qui arrache la paillasse et la couverture où dormaient les enfants d'une veuve, les condamnant ainsi à la servitude. La scène est-elle un lieu commun ou un témoignage ? Rappelons qu'Evrart de Tremaugon recevait les suppliques présentées au roi, en tant que maître des requêtes de l'Hôtel(53). Le chevalier dénonce aussi le fouage, impôt direct de répartition qui ne tient pas compte des malheurs du temps qui ont entraîné la baisse du nombre d'habitants mais non de la somme demandée(54). Le troisième argument établit une comparaison entre le fouage et les aides, c'est-à-dire entre un impôt direct et indirect. Les aides sont moins injustes, car le pourcentage à payer laisse quelque chose à celui qui est imposé, alors qu'avec le fouage, il ne reste rien. Le fouage est signe et cause de servitude(55). Le ton et les arguments de ce passage pourraient bien être ceux d'Évrart de Trémaugon ; le compilateur deviendrait alors auteur.
ANNEXES
Richard de Middleton, Quodlibet III, question 27(56)
Utrum subditi teneantur dominis temporalibus in solvendo tallias de novo impositas que vergunt solum in utilitatem dominorum suorum. Quod subditi qui non sunt servi non tenentur ad novas tallias si eorum domini non sunt reges vel principes et non imponunt de consensu reegis vel principis.
1. [194d] Ultimo veniamus ad illam questionem que respicit laicos tantum, que fuit hec : utrum laici subditi dominis temporalibus teneantur solvere tallias de novo impositas que non vergunt nisi in utilitatem dominorum. Et videtur quod sic. Sic enim beatus Petrus, in prima canónica sua, capitulo 2 : Servi subditi estote in omni tempore dominis non tantum bonis et modestis sed etiam discolis(57) ; ergo videtur quod subditi tenentur obedire dominis suis imponentibus eis tallias indebitas.
2. Item epístola Apostoli ad Ephesios 6 : Servi obedite dominis carnalibus cum timoré et ¡remore in simplicitate cordis vestri sicut Christo. Sed Christo in omnibus est obediendum(58), ergo subditi debent dominis temporalibus in omnibus obedire que non sunt contra Deum.
3. Contra : domini non tenentur defendere subditos extra suam juridictionem, ergo a simili subditi non tenentur obedire dominis quando domini in precipiendo excedunt limites sue juridictionis.
4. Ad istam questionem respondeo quod subditi aut servi sunt aut liberi. Si sunt servi simpliciter, dico quod tenentur solvere tallias de novo impositas, quamvis non vergant nisi in utilitatem dominorum, quia servi et res servorum sunt possessio dominorum. Unde Philosophus, Politicorum dicit quod servus est res possessa(59) unde si fugiat domino debeat restitui, extra. De servis non ordinandis, [c.] De servorum ubi dicitur quod si quilibet servus fugiens dominum qualibet caliditate vel de gradus ecclesiasticos pervenit, decretum est ut deponatur et ejus dominus eum recipiat (S. CXL, 9) (60). Si autem subditi sunt liberi ut ita dominus eorum dominetur eis pollitice, tunc quia aut dominus ille qui de novo vult imponere tallias rex, si non Rex vel princeps (S. CXL, 10), sed dominus inferior, tunc dico quod subditis suis liberis de novo tallias imponere non potest ; et si imponit, quia egreditur términos potestatis sue, non credo quod subditi obedire teneantur, maxime si sine consensu Regum vel principum imponuntur, quod probatur in simili. Prohibetur enim abbatibus, episcopis et aliis prelatis ne novos census imponant ecclesiis nee veteres augeant, extra. De censibus et exactionibus, [c.] Prohibemus(61) et supra capitulo Scientes(62) et [c]. Ecclesiis(63) et capitulo Innovamus (S. CXL, 10 suite), ubi propositum habetur non tantum modo in simili sed expresse. Ibi enim dicitur sic nec quicquam alicui novas pedagiorum exactiones sine auctoritate et assensu Regis et principum statuere aliquo [195a] modo presumat. Si quis contra hoc fecerit et commonitus non desisterit, donec satisfaciat communione careat Christiania(64).
5. Hec idem habetur infra, De verborum significationibus, [c.] Super quibusdam § Preterea ubi scribit dominus Papa comiti Tholosano sic : cum pedagia, guidagia, salinaria tibi legatus interdixerit memoratus, auctoritate apostolica duximus declarandum ilia esse pedagia, salinaria, guidagia interdicta, que non apparent interdictorum Imperatorum, vel Regum, vel Lateranensis concili largitione concessa, vel ex antigua consuetudine a tempore cujus non extat memoria introducta (65) (S. XCL, 1).
6. Ad hoc etiam facit illud quod habetur C. Nova vectigalia institu non posse, 1. 1 et 2 et 3(66) et ff. De legibus et senatus consultis I. Et ideo(67). Si autem dominus est Rex vel princeps, tunc planum quod sua auctoritate, pro utilitate boni communis, novas tallias potest subditis imponere, compensata subditorum facultate et negotii, quod est pro bono communi qualitate et quantitate, ff. De publicanibus et vectigalibus, [I] Vectigalia(68) (S. CXL, 10) et C. De nova vectigalia 1. 1 et 3(69) ubi habetur hec sententia quod nova vectigalia non possunt imponi nisi a principe ; In quo duo clauduntur scilicet quod princeps potest imponere et non domini inferiores principibus nconsultis. Si autem ille tallie in nullo sunt ad utilitatem boni communis, tunc dico quod nec Rex nec princeps tales tallias de novo imponere potest subditis liberis ; et ratio hujus est quia possessiones subditorum liberorum non sunt possessiones dominorum, unde si eis solvunt ea que antiquitus instituía sunt vel de novo, si factum est de concessa subditorum et aliqua rationabili causa, non tenentur dominis solvere tallias alias si in nullo redundant in utilitatem boni communis vel ipsorum qui eas solvunt (S. CXL, 10 bis).
7. Sciendum tamen quod aliquando ille sunt ad utilitatem bonis communis directe et aperte, et hoc est quando fuit pro defensione fldei vel regni, vel refectione poncium et viarum. Quandoque autem indirecte etiam non ita aperte, sicut cum aliqua injuria infertur Regi extra suum regnum, ut pote quia injuste ab adversariis detinetur captivus frater vel filius vel propinquus ejus amicus vel cum aliqua terra, que de jure de novo devoluta est ad Regem, adversarus possidetur violenter de facto, ut Rex imponit tallias subditis per quas jus suum recuperat. Tunc enim ille tallie redundant in bonum subditorum, tam in bonum delectabile quam utile quam honorabile. In confusione enim Regis subditi sunt tales sunt quales esse debent, tristantur et minus honoratum et cum parvipenditur possessiones subditorum suorum, nunc ita secure a subditis possidentur, quia tunc majus est periculum ne ab adversariis invadantur. E contrario, cum Rex viriliter jus suum recuperat contra adversarios exipiendo terram suam et de jure debitam vel liberando fratrem vel consanguineum injuste detemptum, quia ex hoc Rex magis honoratur et ab adversariis timetur. Sequitur ex hoc quod subditi non debent, si tales quales esse debent, gaudent et suas possessiones securius possident et in majori honore habentur (S. CXL, 11). Unde, in tali casu si Regis facultates ad expendiendum negocium non sufficiunt, credo quod a subditis etiam liberis potest accipere moderatum adjutorium (S. CXL, 11 bis), compensata subdotorum facultate et negocii qualitate et quantitate et utilitate. Videtur tamen mihi quod negocio expedito, si Regis facultates habundanter augeantur, alique communitates nimis notabiliter sint gravate, quod Rex debet eis subvenire secundum exigenciam et proportionem, sicut sibi subvenerunt in sua necessitate.
8. Cum enim caput indiget, alia membra quicquid possunt adiutorii subministrat ei et caput etiam aliis membris adjutorium subministrat (S. CXL, 12).
9. Sciendum tamen est quod, quia facultates Regum eis date sunt propter promotionem et deffensionem communis utilitatis, si facultates ejus pro deffensione regni vel fidei sufficiunt, credo quod non debet etiam in illo casu subditos talliare (S. CXL, 13). Sed ego non dico facultates Regis sufficere quando non potest deflendere regnum vel fidem, nisi ita se depauperando quod nihil sibi remaneat in thesauro quo se posset juvare ; si iterum, infra breve tempus, ab aliis adversariis invadetur, maxime si est regnum multos emulato-[195b]-res habens et insidiatores (S. CXL, 13 bis), unde non est ociosa tali Regi pecunia in thesauro (S. CXL, 13 suite), quia adversarii scientes eum munitum, magis eum timent invadere, Rex consequent! magis pacifice possidebit regnum suum (S. CXL, 13 ter), quamvis multo plus valeret sibi thesaurisare amicitiam subditorum quam magnos cúmulos auri et argenti (S. CXL, 13 suite).
10. Fortior enim est Rex dilectus a subditis et thesauro auri et argenti carens quam qui habundans auro et argento amicitia suorum subditorum privatur.
11. Sic ergo patet in summa ad questionem quod subditi liberi non tenentur solvere tallias que eis a dominis temporalibus de novo imponuntur, sic nec directe nec indirecte redundant in utilitatem boni communis.
12. Ad primum argumentum in oppositum, cum dicitur quod servi debent esse subditi dominis etiam discolis etiam, dico quod vel loquitur de subditis qui servi sunt, aut si loquitur de subditis liberis, intelligendum est quod debent eis esse subditi in hiis ad que se extendit potestas eorum. Modo simili potest responderi ad secundum.
13 . Hec que de predicta questione dicta sunt et que dicta sunt in omnibus aliis questionibus meis, si qua ibi inveniantur dicta que non sint de communi opinione doctorum, intelligo et volo esse dicta sine assertione et ilia esse dicta ut sint occasione investigationis et subtiliationis intellectus. Et si in aliqua questionum mearum inveniretur aliquid corrigendum vel obscurum, postquam michi est ostensum, paratus essem corrigenda corrigere et obscura explanare prout scirem et possem.
Astesanus d'Asti, Summa de casibus(70)
1. [27d] Circa quartum, quod est De pedagiis, notât Hostiensis, titulus De censibus(71), quod exactiones pedagiorum et salinariorum et guidagiorum sunt reprobate, nisi ab Imperatore, vel Rege, vel Lateranensi concilio sint concesse vel alias ex longissima consuetudine cujus non extat memoria debite [introducte] extra. De verborum significatione, [c] Super quibusdam § Preterea(72) (S. CXL, 1), ff. De publicanis in décimo et,vectigalibus Vectigalia(73), et qui alius ipsas recipit nisi commonitur satisfaciat, est secundum cañones excommunicandus extra. De censibus, [c] Innovamus(74). Sed secundum leges est perpetuo exilio dampnandus, C. Nova vectigalia instituí non posse lex ultima(75) ; et quod dictum est quod a Rege potest concedi pedagium, intelligit ipse Hostiensis tantum de Rege Romanorum.
2. Querit autem Hostiensis(76) in speciali de Rege Francie utrum habeat potestatem [f. 28a] pedagia concedendi, et quidem secundum aliquos Papa respondisse videtur in consimili questione quod sic, extra. Qui filii sunt legitimi, [c] Per venerabilem(77) §. In super ipsum autem Hostiensis videtur quod non, nisi et Papa ei dederit eamdem que data est et Imperatori argumentum, ff. De origine juris, liber 2 § Deinde quia difficile(78) et hii possunt hic concedere in prejudicium suorum tantum non extraneorum, nisi forte extraneos dicas factos suos ratione territorii, quod est verius secundum Hostiensis.
3. Innocensius autem, extra. De censibus, [c] Innovamus(79) dicit simpliciter quod reges possunt imponere pedagia nova, peccant tamen si faciunt hoc sine justa causa (S. CXL, 2). Idem dicit Bernardus(80) ibidem et tamen ipse Bernardus, extra. De verborum significatione, [c] Super quibusdam(81) dicit quod solus princeps potest hoc statuere non civitas, C. Nova vectigalia institui non posse, 1. 2 et 3(82).
4. Ad hoc notat secundum Bernardum, super c. Super quibusdam(83) quod pedagia dicuntur que dantur a transeuntibus in locis a principe constitutis.
5. Guidagia dicuntur que dantur pro ducatu per terram alicujus ut quis eat securus.
6. Salinaria que dantur pro sale sed ut permittantur sal emere vel vendere.
7. Sed numquid hec sine causa concedere potest. Raymundus(84) innuit quod non immo requiritur causa puta pro defensione strate publice (S. CXL, fin du 2) contra predones in terra, vel piratas in aqua, vel pro defensione fidei et patrie contra Paganos vel Heréticos, vel alia causa consimili justa ; in quibus casibus, si is qui recipit illud facit propter quod institutum, fuit licite et sine periculo conscientie illud recipit (S. CXL, 2bis).[...]
8. [28b] Sciendum ergo secundum Raymundum, titulus De raptoribus(85) et Hostiensis titulus De immunitate ecclesiarum(86) quod regulariter dominus petere non debet a subditis nisi ea de quibus inter eum vel ejus antecessores et ipsos vel eorum antecessores, plane bona fide, sine dolo et coactione convenit et de hiis soient fieri instrumenta. Omnia ergo ab inicio imposita, dum tamen non sint turpia vel contra Deum, possunt peti et, debent solvi, quia quilibet in traditione rei sue legem quam vult ponere potest, extra. De pactis [c] Antigonus(87), et quicquid subditus de hiis, sed que sunt certa, sine domini voluntate subtraheret, diminueret, vel celaret scienter, sicut fur restituere teneretur (S. CXL, 2 ter). Et idem intellige secundum Rod.(88) si non extet instrumentum, est tamen antiqua et certa tallia a tempore cujus non extat memoria, et scitur vel probabliter creditur quod ab initio fuerit imposita justa de causa ; ita tamen Raymundum(89) quod et ipse dominus compleat si quid ex illa causa vel institutione complere debeat.
9. Ubi tantum ponitur in instrumento indefinite collecta tallia vel huiusmodi, debet intelligi quod debet eam moderate petere, inspectis oneribus et facultatibus subditorum, extra. De censibus [c] Cum Apostolus(90) et idem credit Rod.(91) si contineatur in instrumento vel etiam si sit consuetudo talis sine scripto quod talia facere possit ad placitum suum. Et si de hoc dominus habeat conscientiam, inducatur ad restitutionem faciendam.
10. Si autem accipit dominus ultra conventa et statuta inter eum et subditos ejus aliqua sponte oblata nulla fraude adhibita restituere tenetur, 1 quaestio 2 Placuit quaestio 3(92) pro exactio indirecta esset si eis justiciam negaret. vel eos non defenderet secundum quod deberet, ut sic ab eis aliquid extorqueret, vel si eis insinuari faceret quod ab ipsis aliquid habere vellet.
11. Si tarmen ex aliquibus circunstanciis appareret restitutio impossibilis vel multum diffîcilis, satis videtur quod consuli posset hiis dominis quod in recompensationem remitteret subditis communiter cum consensu eorum et libera voluntate, aliquam servitutem vel annuam prestationem in perpetuum vel ad tempus (S. CXL, 2 ter), ita quod videretur eis plenissime satisfactum vel etiam quod satisfacerent in remissionem peccatorum illorum quibus tenebantur aliquod hospitale vel aliquod opus simile pietatis cum consensu tamen eorumdem ubi potest requiri. Et hoc intelligere nisi justa causa ipsum dominum ad talem exactionem inducat faciendam.
12. Sicut enim quedam cause [28c verso] juste : Una pro defensione patrie, cum scilicet invaditur ab hostibus injuste(93), extra. De immunitate ecclesiarum [c] Pervenit(94) (S. CXL, 3).
13. Altera est si dominus vult ire in exercitum indictum ab Ecclesia vel principe contra Hereticos vel paganos nec de suo sine gravi dampno expensas facere posset (S. CXL, 4).
14. Tertia est si dominus in guerra vel in bello justo ex parte ejus sit ab hostibus captus nec de suo redemptionem sine gravi dampno solvere possit (S. CXL, 5).
15 . Quarta si vult ad principem ire pro privilegio specialis protectionis pro se et suis subditis obtinendo nec potest de suo faceré expensas sine gravi dampno. Pro hiis causis et aliis similibus emergentibus dominus a subditis auxilium petere potest, dum tamen semper moderate et non cum eorum gravamine et cum caritate non ex violentia petat, 10 quaestio 3
Unio circa medium(95), extra. De censibus, [c] Cum Apostolus § Prohibemus(96) secundum Raymundum (97).
16. Secundum etiam Rod.(98) cause propter predictas alicubi usitate et approbate sunt : quando dominus militem filium facit vel filiam nuptui tradit vel feudum suum relevât vel novum comparat. Hujusmodi enim respiciunt commodum subditorum, quia ex talibus dominus sit potentior vel dicior, ac per hoc parcere potest subditis plus quam ante. Et ideo videtur quod pro talibus possit accipere a subditis, ubi est consuetum vel constituum, dum tamen accipiat moderate (S. CXL, 6) secundum Rod.
17. Si autem dominus velit ad aleas ludere vel ultra vires ad vanitatem, in vestibus, hospitibus et similibus expendere, non debet propter hujusmodi exigere. Vel si fecerit, tenetur restituere (S. CXL, 7). Et idem est si captus in bello injusto, exigat totam redemptionem vel partem quam hostibus solvit secundum Raymundum(99) (S. CXL, 8 en partie).
18. Richardus(100) vero circa tallias quas imponunt domini de novo subditis suis, distinguit sic scilicet quod subditi aut sunt servi, aut liberi. Si servi, domini simpliciter possunt eis de novo tallias imponere, etiam si non vergant nisi in bonum dominorum ipsorum, et servi tenentur eis obedire.
19. Quia servus et res ejus sunt possessio domini. Unde Philosophus 1 Politicorum dicit quod servus est res possessa(101), et ideo si fugiant dominum, debent restitui sibi, extra. De servis non ordinandis, [c] De servorum(102) (S. CXL, 9).
20. Si autem sint liberi, ita quod dominus dominetur politice, aut dominus ille est Rex vel princeps, aut dominus inferior. Si primo mode, potest auctoritate sua, pro utilitate boni communis, de novo tallias suis subditis imponere, compensata subditorum facultate et negocii, quod est pro bono communi qualitate et quantitate, ff . De publicanis et vectigalibus, [§] Vectigalia(103) quod debet intelligi : nisi facultates sufficiant Regi vel principi pro boni communis promotione et defensione (S. CXL, 10).
21. Si autem ille tallie in nullo sint ad utilitatem boni communis, nec Rex nec princeps temporalis potest eas de novo imponere. Et si eas imponit, subditi non tenentur obedire quia potestatis sue limites exit (S. CXL, 10 bis).
22. Si autem sit inferior, non potest de novo subditis tallias imponere. Et si imponit, cum exeat limites potestatis sue, subditi non tenentur obedire, maxime quando sine consensu Regis vel principis imponuntur ; et hoc est, expressum, extra. De censibus [c] Innovamus(104) (S. CXL, 10 suite) : Et si quis contra fecerit et commonitus non destiterit, donec satisfecerit communione careat Christiana, ut ibidem, extra. De significationis [c] Super quibusdam(105) C. Nova vectiglia institui non posse 1. 1, 2, 3, 4(106).
23. Sed contra super illud Mattheus 17(107) : Ergo liberi sunt filii, dicit Glosa(108) quod liberi sunt filii Regis in omni regno, multo magis sunt liberi filii illius Regis sub quo sunt omnia regna, ergo videtur quod Christiani etc.
24. Respondeo filios regni vocat illos Christianos qui reliquerunt omnia temporalia propter Christum ; tales enim non tenentur ad aliquas exactiones temporales.
25. Pro altera parte obicitur illud 1 Petrus 2 : Servi estote subdiu dominis non tantum bonis et modestis, sed etiam discholis, ergo etc.(109).
26. Respondeo aut loquitur de subditis servis, aut si loquitur de subditis liberis intelligendum est quod debent eis esse subditi in hiis ad que potestas eorum se extendi secundum Richardum(110).
27. Sciendum secundum Richardum(111) quod aliquando tallie que de novo imponuntur sunt directe ad utilitatem boni communis, puta quando sunt pro defensione fidei vel regni, vel pro refectione pontium vel viarum. Quandoque autem indirecte et non ita aperte, ut cum aliqua injuria infertur Regi extra suum regnum, puta quia adversariis detinetur captivus ejus frater, filius vel propinqus, vel aliqua terra, que de novo est devoluta ad Regem, possidetur violenter ab [28d] adversariis de facto, et Rex imponit subditis tallias, per quas ius suum recuperare possit. Tunc ille redundant in bonum subditorum, quia cum Rex viriliter impugnat adversarios, terram sibi de jure debitam exipiendo vel fratrem suum vel consanguineum injuste detentum, ex hoc ipse magis honoratur et ab adversariis timetur, et per consequens ejus subditi fidèles gaudent et sua bona securius possident (S. CXL, 11) et in majori habentur honore et sunt in meliori condicione.
28. Unde, in tali casu, si ad hoc Regis non sufficiant facultates, potest a subditis etiam liberis accipere auxilium moderatum, compensata negocii qualitate et utilitate et subditorum facultate (S. CXL, 11 bis). Videtur tamen quod, negocio expedito, si Regis facultates habundanter augeantur et alique communitates nimis notabiliter sint gravate, Rex eis subvenire debet, secundum exigentiam et proportionem, sicut ei subvenerunt in sua necessitate. Cum enim caput egrotat, ei membra alia subministrant et similiter e converso, caput aliis membris (S. CXL, 12).
29. Sciendum quod, quia facultates Regum sunt eis date propter promotionem communis utilitatis, si facultates regis sufficiant pro defensione regni vel fidei, non debet etiam in illo casu subditos talliare (S. CXL, 13). Non tamen est dicendum facultates Regis sufficere quando non potest regnum vel fidem defendere, nisi ita se depauperet quod nihil sibi remaneat in thesauro quo se juvare posset, si iterum, infra breve tempus, ab aliis adversariis invaderetur, maxime si multos habeat insidiatores (S. CXL, 13 bis) ; tali enim Regi necessarius est thesaurus pecunie (S. CXL, 13 suite), quia adversarii scientes eum sic esse munitum, magis timent eum et ex consequenti magis pacifice possidet suum regnum (S. CXL, 13 ter), licet multo plus valeret sibi thesaurizare amorem subditorum quam argentum et aurum, hoc Richardo(112) (S. CXL, 13 suite).