Materiae Variae Volume III
Les jugements de Renart : impunités et structure romanesque de Jean R. Scheidegger
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Problèmes de justice dans Li chevaliers as deus espées de Régine Colliot
Le Graal et la Chevalerie de Jean Frappier
PROBLEMES DE JUSTICE DANS LI CHEVALIERS AS DEUS ESPÉES
GAUVAIN, MEURTRIER PAR PROCURATION*
Régine Colliot
L'étude des problèmes de justice dans le Chevalier as deux espées(1) fournit au lecteur matière à de multiples réflexions et étonnements ; il existe dans cette intrigue un code de justice romanesque, dont nous allons relever certaines règles très éloignées de la morale éternelle.
Une première constatation s'impose : la justice est prisonnière des formules ; la parole donnée à soi-même ou aux autres conditionne bien souvent le juste et l'injuste, et donc le déroulement de la procédure.
Ainsi la reine Lore de Caradigan, devenue esclave de Ris d'outre-Ombre lui fait donner sa promesse(2) qu'il accordera toute demande formulée par un visiteur de la Gaste Capelle, homme ou femme ; comme elle accomplit l'épreuve, le roi Ris, conquérant outrancier pourtant, lui rendra son royaume et la rétablira sans protester dans tous ses privilèges royaux : ce n'est pas là conscience tardive d'une injustice, mais obligation de respecter un contrat passé entre deux parties ; à l'origine du contrat il y a prérogative royale de sacraliser un engagement.
Même respect de la formule du don royal par Arthur : Lore lui réclame en don le retour de Mériadeuc(3) le Chevalier aux deux épées, qui doit, dit-elle, devenir son mari et a disparu. Aussitôt Arthur envoie de par le monde des chevaliers à la recherche de Mériadeuc : les formules royales, une fois prononcées, car leur énonciation et les termes qui la composent sont importantes, apparaissent inviolables.
Le roi semont assés souvent
K'il ne li falist de couvent
Et il li dist par grant douçour
K'ele n'ait ja nule paour
Ne doutance de nule rien. (v. 1865-1869)
Mais, parce qu'elle dépend étroitement de ses termes, la formule peut aussi déclencher l'injustice : ainsi Gauvain rencontre Brien des Illes, un jeune chevalier qui a juré à sa dame "de combattre Gauvin, armé comme il serait, s'il le rencontrait". Il le rencontre désarmé, et fort de la teneur de son serment, et malgré les protestations de Gauvain, qui lui montre l'injustice de l'engagement, Brien l'attaque et le laisse quasi-mort : la formule permet ici l'injustice avec une apparence de justice.
Le dialogue entre les deux chevaliers est démonstratif(4) : Gauvain plaide :
Si est maie partisseure
Car vous avés toute armeure
K'estuet a cors de chevalier
Et je n'ai dont me puisse aidier...
....-C'est cose alée,
Convens fu, se je vous trouvoie
Que a vous me combateroie
Si armé con vous seriés.
Et se par moi outrés seriés.
Bien avroie tenu convent."(5)
Un autre cas d'injustice peut également naître d'une coutume, "coutume plévie " jurée, donc maintenue par un serment ; cette coutume n'est pas forcément ancienne ; elle peut être récente et toute conjoncturelle. Au royaume du défunt roi Bléhéri, assassiné par un étranger, tous les étrangers sont passibles de mort(6). Mériadeuc proteste contre cette loi barbare et rétablit une vue plus juste de la vengeance : un seul étranger, le meurtrier présumé, mérite la mort. Cette coutume "jurée" déclenchait donc des châtiments inutiles et inhumains. Mais elle avait été garantie par la parole des habitants. L'énoncé d'un serment ou d'une promesse lie les consciences, les installe en dehors des normes de la justice.
Mais abordons les deux grands cas d'injustice soulevés dans le roman. Le plus singulier sans conteste est celui où va être impliqué Gauvain, malgré lui et dans des circonstances bien étranges. Tout part encore d'une formule, le don arthurien, ainsi que va le raconter à son fils la veuve de Bléhéri, roi tué injustement par Gauvain.
Le roi Bléhéri, père de Mériadeuc, est depuis longtemps en guerre avec le roi Brien de la Gastine, un prince félon et lâche. Bléhéri est un vaillant. Brien ne pouvant en venir à bout, imagine la ruse suivante :
Cil ki fu malvais et couars
Douta et n'osa assembler,
Ains fist mon seignor apeler
Et metre a raison d'une cose,
Cors a cors, si faille la guerre.
S'ait cil et l'une et l'autre terre
Qui son compaignon outerra...(7)
Brien est le vassal d'Arthur, il va donc le trouver et lui réclame avec supplication un don, en arguant de sa qualité d'homme lige. Selon l'accord conclu avec Bléhéri, tout doit se régler entre eux par un combat singulier, et le vainqueur aura le royaume du vaincu. Bléhéri, confiant dans son courage, accepte sans difficulté. Cependant Arthur accorde à Brien un "don" sans réfléchir longtemps ; d'ailleurs le don, réclamé dans les formes, est obligatoire.
Brien ... dist k'il ne li doit véer
K'il est ses hon et tient de lui,
Tout a genous et a anvi
Demande, ne ne se movra
Ce dist, devant k'il li aura
Otroié tout entièrement.
Li rois ne pensa pas granment
Au don et dist ke il l'auroit.(8)
En possession du don arthurien, Brien réclame alors au roi en toute propriété son neveu Gauvain, comme un objet, ou plus exactement comme un robot. Gauvain devra faire tout ce que Brien voudra, sans le quitter, sans protester ; il deviendra un être mécanique commandé par son maître.
Por o lui en tel liu mener
Qu'il onques son conseil vauroit
Et avoec li creanteroit
A faire kan que vauroit dire.
Sans muer et sans escondire.(9)
Arthur accorde toutes ces demandes exorbitantes : “Et li rois tout ce li otroie”(10). Gauvain n'est pas consulté, il ne proteste pas non plus, on ne l'entend même pas prononcer un seul mot ; c'est qu'il admet l'attitude de son oncle qu'il ne blâmera d'ailleurs jamais dans la suite du récit. Brien emmène Gauvain dans son royaume, le tient comme un prisonnier-esclave jusqu'au jour du duel décisif avec Bléhéri.
Tantost se metent a la voie
Mes sire Gauvains et Briens,
Liés, quant il a en ses liens
A son voloir tout sans quidier
Trestout le meillor chevalier Ki soit...(11)
Tout le monde ignore le nom du prisonnier;
Briens amaine son prison
Trestout armé avoecques lui
Ne ce ne sevent ke il dui
K'il soit mes sire Gauvains.(12)
Brien le fait armer et le laisse au camp ; lui même va se présenter comme prêt au combat, sauf le heaume ; il garde le visage découvert. "Le combat a t-il lieu ?" demande-t-il à Bléhéri ; celui-ci acquiesce sans crainte ; Brien retourne à son camp soi-disant pour lacer son heaume. En fait il ordonne à Gauvain selon le "couvent" de revêtir ses propres armes et d'aller se battre à sa place. On échange même les destriers et leurs couvertures armoriées ; Gauvain ne peut pas ignorer la mise en place d'une trahison, cependant il ne proteste pas.
Et semont trestout esranmant
Mon segnor Gauvain de couvent
Et veut k'il faice la bataille.
Il li otroie et il li baille
Mout tost toutes ses armeures
Son cheval et ses covertures
Por deconistre et il monta.(13)
Cette absence de réactions et cette complicité de Gauvain le Juste illustrent bien l'illogisme d'une situation de contrainte totale, placée en dehors de toute morale et même de toute intelligence.
En présence de son adversaire, Bléhéri ne se méfie pas. Méprisant la couardise habituelle de Brien il avait endossé un vieux haubert aux mailles "desrompues". Le fer de la lance de Gauvain le transperce, Bléhéri tombe blessé à mort.
En face de l'agonisant, Gauvain semble pour la première fois éprouver quelque embarras : il délace le heaume du mourant ; or celui-ci exhale son désespoir de mourir par la main du plus lâche des hommes. Gauvain, toujours fier de sa valeur, proteste. Bleheri entend une voix inconnue, demande son nom à l'assaillant, Gauvain se nomme, avec un orgueil qui semble en l'occurence assez déplacé.
..."Tous soiés certains
Que je sui apielés Gauvains,
Li ainsnés des fiex le roi loth
D'Orcanie..."(14)
Gauvain retourne au camp, se débarrasse des armes d'emprunt, et part, malgré les protestations de Brien qui voulait le retenir pour achever sa conquête ; il semble que le remords, tardivement, fasse son chemin en lui. Certes, il est fréquent que des chevaliers sans reproche entrent au service de rois ou de princes, et les délivrent de leurs ennemis : ce sont les soudoyers. Mais l'engagement du "soudoyer", celui de Mainet(15), par exemple, est très différent de celui de Gauvain ; Gauvain ne s'engage pas, justement, il est donné par Arthur ; la cause de Galafre, contre Braîmant, est présentée comme juste ; Mainet était libre de le secourir ou non, et les prouesses qu'il accomplit lors de son service rehaussent sa valeur ; Gauvain ne sort pas grandi du meurtre de Bléhéri, insuffisamment armé. A Mainet, Galafre promet un salaire, la main de Galienne : il existe donc un contrat clair et régulier entre l'engagé et le nouveau maître ; si Mainet voulait partir, il le pourrait. Gauvain se trouve dans une situation de contrainte irrationnelle vis à vis de Brien, qu'il méprise, mais pour lequel il accomplit un meurtre par trahison.
Mériadeuc, le fils de Bléhéri, mis au courant, va donc se vouer à la "vendetta" exercée contre Gauvain et Brien. Il rencontre d'abord Brien, ils se battent. Brien jeté à terre "ne demande pas merci". Il refuse donc d'employer la formule de salut qui perme, quelque soit le crime, d'être épargné ; la punition n'est nullement proportionnée au crime, elle s'abat seulement sur celui qui refuse de demander grâce. Sur le point de mourir, Brien rachète à nos yeux sa lâcheté par quelques paroles fières Riens ne vaut /A chevalier vivre vaincu"(16) mais le conteur ne lui accorde pas sa pitié pour autant : le dédain de la mort chez les injustes ne leur est pas compté comme un avantage moral, mais comme une obstination dans la démesure. Mériadeuc coupe la tête à Brien. Il lui reste à se venger de Gauvain, et il se croit en droit de le faire. Le roi Arthur, un peu tard, et ses chevaliers redoutent l'affrontement inévitable entre les deux héros.
Mais la mère de Mériadeuc va jouer un grand rôle dans l'apaisement du conflit. Dans un premier entretien avec Mériadeuc, avant la mort de Brien, elle avait clarifié les responsabilités. C'est Brien que Mériadeuc doit tuer, en vérité c'est lui qui a tué Bléhéri :
..."Lui ? Comment ?
On me dit a commencement
Que mes Sire Gauvain l'ocist.
Voirs est, mais cil le murdre fist,
K'il porchaça sa mort por voir ".(17)
Qui a conçu le meurtre est le vrai meurtrier. La veuve avait donc déjà établi le partage des responsabilités, mais Mériadeuc n'est pas convaincu : "qui a tué doit être tué ", semble être alors son opinion.
Cependant Gauvain va être amené à se racheter auprès de la Veuve-Dame, il semble d'ailleurs être moins convaincu de sa culpabilité que de la nécessité d'effacer chez Mériadeuc le désir de "vendetta". Il apprend que Galien, le fils de Brien, assiège maintenant la Veuve dans sa cité de Tygan ; il voit là aussitôt l'occasion de rentrer en grâce auprès d'elle. Il défie Galien et lui propose un duel décisif.
La veille du combat, il va utiliser à son profit, une "formule" (encore une) celle du pardon. Que la Veuve lui pardonne au cas iù il aurait "méfait" envers elle, puisqu'il va peut-être à la mort : "... et me pardonnissiés. / Se rien vous avoie mesfait."(18)
La dame qui ignore l'identité de son champion accorde bien volontiers son pardon. Ainsi sa "grâce" sera forcée, pour ainsi dire : à son retour du combat, Gauvain pourra se prévaloir de l'oubli des fautes obtenu, et obtenu en toute conscience de sa part
"De ce ke quant il retornast
Que son mal cuer li pardonast
De son seignor k'il li ocist."(19)
Gauvain vainqueur coupe la tête à Galien qui a le tort de ne pas "requérir merci", et rétablit la Dame dans tous ses droits. Elle voudrait connaître le nom de son sauveur/ Gauvain explique qu'il a combattu essentiellement pour lui arracher son pardon, et il se nomme.
La Dame complète alors tardivement le récit de la mort de son mari s lui- même avant d'expirer avait pardonné à Gauvain, ayant compris qu'il n'était que l'exécutant et non l'instigateur du crime : quant à elle, elle ne va pas renier un pardon déjà accordé.
La Dame
... savoit
Que sa mort li ot pardonnée
Ses sire, et s'estoit racordée
Avant ke il se combatist,
Avant ier quant elle li dist
Que de boin cuer li pardonnoit
Tout ce que mesfait li avoit.(20)
Elle confirme
Deboinairement vous pardoing
Tout mon mautalent a tiesmoing
De ces Chevaliers...(21)
Mériadeuc est bientôt informé des exploits accomplis par Gauvain pour délivrer sa mère ; il s'en étonne, bien qu'il ait pu juger de la qualité d'âme du héros au cours d'une amitié antérieure aux événements, mais les complications du comportement humain lui sont bien étrangères : pour lui un ennemi l'est totalement et pour toujours.
... s'esmerveille, dont ce vint
N'en quel manière il ot ce fait
K'il ot a sa dame mesfait
Si laidement ... (22)
Le rachat moral ne lui paraît pas admissible. Un combat terrible va opposer les deux chevaliers jusqu'à l'arrivée de la Veuve qui, par ses supplications et son rappel du pardon de Bléhéri lui-même rétablit l'amitié entre les deux héros.
Ce cas bizarre de responsabilité indirecte rentre bien, semble t-il, dans l'examen de l'alternative "châtiment/ impunité" proposée par notre colloque. Gauvain a commis le crime : mais qui en est responsable ? Le roi Arthur, qui l'a "donné" comme instrument à Brien, l'a transformé en "tueur" sans gages ? Brien, instigateur d'une savante machination ? Gauvain qui tue sans examen et sans pitié apparente, en ne pouvant ignorer qu'il participe à une trahison ?
Arthur n'est jamais accusé, Gauvain est disculpé, Brien, certes a la tête coupée, mais surtout parce qu'il refuse de prononcer la formule de "merci" : c'est cette circonstance qui cause sa mort, plus que sa réelle culpabilité. On voit à quel point les normes de la justice arthurienne s'écartent de notre jugement en matière de morale éternelle ; Gauvain, par le biais d'un pardon extorqué, se tire d'affaire : et pourtant il est le Juste par excellence, ainsi que le rappelle Arthur dans un admirable portrait de son neveu(23).
Gauvain d'ailleurs accordera l'impunité à l'autre grand criminel du récit : Brien des Illes (par une bizarrerie onomastique les deux coupables envers Gauvain et Mériadeuc portent le même prénom.) Si Krien de la Gastine était un couard et un traître, Brien des Illes est un ambitieux sans scrupule, mais non pas sans courage. Il se révélera, de plus, coupable "d'inhumanité". Il cherche Gauvain pour en triompher et le tuer parce que la Dame des Illes qu'il veut épouser, l'a mis au défi d'y parvenir, ajoutant qu'elle ne l'épouserait qu'à cette condition. En la quittant, Brien a prononcé une formule "un convent" dont il respectera la lettre.
Convent fu, se je vous trouvoie
Que a vous me combateroie
Si armé con vous seriés(24).
Formule à double tranchant, puisqu'elle permet à Brien, rencontrant Gauvain insuffisamment armé, de le tuer ou peu sans faut, dans des conditions déloyales.
Après le combat, il éprouve une forte tentation de couper la tête à Gauvain, ajoutant l'inhumanité à la traîtrise ; il y renonce parce que, dit-il, ce serait faire "acte de vilain" que de couper la tête à un mort. Cependant Gauvain lui-même coupe la tête à Galien et à Gernemant de Nothumberland, Mériadeuc la coupe à Brien de la Gastine... qui refusent de prononcer la formule salvatrice. Mais l'idée qu'il existe deux pratiques de la justice, l'une méprisable, celle des vilains, l'autre, noble, celle des chevaliers, circule dans le récit. Ainsi Gauvain, endormi ou feignant de l'être, serait assommé par la cognée d'un grand vilain, si le maître de ce dernier, un ermite ancien chevalier ne l'en empêchait... Nous assistons aussi à une scène de justice expéditive menée par le peuple d'un bourg, contre un châtelain tyrannique
Tuit sans demander jugement
L'ont pris et démené vilement
Et lui et toute sa maisnie
Tost fu lor mors apareillie
Fors du castiel les traînerent
Dusques la u les fourches erent
Tantost, ke plus n'i atendirent
Trestous ensemble les pendirent
Puis s'en tornerent a grant joie(25).
Certes le rituel de la justice n'est pas respecté, mais cette exécution sommaire est approuvée par le conteur : "vox populi, vox Dei."
Il y a six grands criminels dans le récit : nous les voyons très inégalement punis : trois auront la tête tranchée ; trois seront punis par l'humiliation, de courte durée, d'ailleurs. Gernemant de Northumberland, conquérant abusif, traître et cruel, Brien de la Gastine, lâche et perfide, Galien, un fou d'orgueil, seront exécutés avec justice, certes, mais surtout parce qu'ils n'ont pas "merci requise".
Trois autres criminels échappent au châtiment suprême ? ils ne nous semblent guère moins injustes que les autres, mais ils ont imploré leurs vainqueurs.
Le premier humilié est Ris d'Outre Ombre, un maniaque de l'ambition : c'est le fameux collectionneur des barbes de ses adversaires vaincus. Il a l'outrecuidance d'aller défier Arthur en son palais pour lui réclamer sa barbe dont il fera la "bordure" d'un manteau confectionné avec les dépouilles des neuf rois vaincus avant lui. Ris incarne le démesuré, le fou d'orgueil. Mériadeuc le combat et l'envoie "navré" se constituer prisonnier auprès d'Arthur ; Ris commence par refuser, craignant qu'Arthur ne lui fasse couper la tête. Mériadeuc le menace alors de mort immédiate et Ris se soumet assez lâchement.
"I jors de respit C mars vaut"(26).
Arthur magnanime, lui pardonne et le fait soigner ; Ris coulera des jours heureux à la cour ; certes sa faute était moindre que celle de Brien de la Gastine, ou de Galien, mais il était en état de révolte insultante et ne reçoit aucun châtiment. Même indulgence pour Brien des Illes, vainqueur par trahison de Gauvain qu'il a laissé pour mort sur le terrain, qui fait précéder par un parjure le duel judiciaire qui suivra entre les deux chevaliers.
Mais Brien blessé et jeté à terre implore "merci" et Gauvain l'épargne, à condition qu'il se rende prisonnier auprès d'Arthur. Brien qui est fort beau garçon y sera soigné, choyé, entièrement pardonné à la fin du roman ; pourtant il s'en est fallu de peu qu'il ne tue par trahison Gauvain ; il était presque aussi coupable que Brien de la Gastine.
Enfin le Roux du Val Périlleux, adversaire d'Arthur qui sera vaincu au dénouement par Mériadeuc et Gauvain réconciliés se révèle lui aussi traître à son seigneur Arthur dont il a enlevé et fait prisonniers deux cents chevaliers ; c'est de plus un lâche qui abandonne les siens dans sa ville assiégée.
Battu par Mériadeuc, il demande merci honteusement :
"... Ne me touciés.
Chevaliers ! Se vous me faisiés
Seurté, ke je n'i moroie
Ne par prison péril n'avroie
Du cors, la cose bien iroit."(27)
Mériadeuc l'envoie en captif humilié auprès d'Arthur, puisqu'il lui ordonne de passer les "pastures" les entraves pour cheval, le réduisant ainsi à l'état d'animal. Mais les pastures sont luxueuses et Arthur les lui fait retirer dés sa venue : il s'agit d'un châtiment tout symbolique.
En fait les vainqueurs épargnent les vaincus, dans tous ces cas, pour ne pas ternir leur propre gloire et sans considérer la gravité de la faute chez l'adversaire ; et ils sont liés par la formule de "merci". Ainsi dans ces duels justiciers, ce sont plutôt les courageux ayant le sens de leur dignité qui périssent et les lâches qui sont épargnés et retrouvent un sort enviable. Tel est le résultat assez surprenant de ces combats déclenchés pour punir l'injustice : on y voit appliquée déjà la morale de la Gloire et de la Générosité qui sera celle des drames cornéliens quelques siècles plus tard.