Le Liber Manualis de Dhuoda : un monument de la juslittérature du IXe siècle
Speculum Matris : Duoda's Manual de Karen Cherewatuk
L'écrirure de soi dans le Manuel de Dhuoda de Jean Meyers
Fathers of Power and Mothers of Authority : Dhuoda and the Liber manualis de Martin A. Claussen
Dhudoa et la justice d'après son Liber Manualis (IXe siècle) de Jean Meyers
NOTES
DHUODA ET LA JUSTICE D'APRÈS SON LIBER MANUALIS (IXe s-SIECLE)
* Cet article a été initialement publié dans la revue Les Cahiers de recherches médiévales et humanistes n°25 (2013), p. 451-462.
(1) Sur les miroirs carolingiens, cf. Hans H. Anton, Fürstenspiegel und Herrscherethos in der Karolingerzeit, Bonn, L. Röhrscheid, 1968. On trouvera aussi d'intéressantes remarques sur le genre du speculum dans Einar Már Jónsson, Le miroir. Naissance d’un genre littéraire, Paris, Les Belles Lettres, 1995 et Michel Rouche, "Miroirs des princes ou miroir du clergé ?", Commitenti e produzione artistico-letteraria nell’Alto Medioevo occidentale, Spoleto, 1992, p. 341-67.
(2) Si l'on admet la date retenue par Alain Dubreucq : Jonas d’Orléans, Le métier de roi (De institutione regia), Introduction, texte critique, traduction, notes et index par A. Dubreucq, Paris, Éd. du Cerf, 1995, p. 45-49
(3) Toutes les citations sont tirées de l’édition de Pierre Riché, Dhuoda, Manuel pour mon fils, Introduction, texte critique, notes par P. Riché traduction par B. de Vregille et Cl. Mondésert, Paris, Éd. du Cerf, 1997. La traduction a parfois été retouchée selon la révision faite pour ma présentation de Dhuoda dans la collection "L’Abeille" : Dhuoda, Manuel pour mon fils, lu par J. Meyers, Paris, Éd. du Cerf, 2012, p. 129-143.
(4) Le début de la citation rappelle la deuxième prière du prêtre avant la communion dans la messe romaine ; la suite est empruntée à Augustin, Contra Cresconium IV, 26, 33 (CSEL 52, p. 531).
(5) Il ne faut pas oublier, comme l’a souligné Régine Le Jan, "Justice royale et pratiques sociales dans le Royaume franc au IXe siècle", La giustizia nell’alto medioevo (secoli IX-XI), Spoleto, t. I, 1997, p. 47-90 (spéc. p. 51-61) que l’interdiction carolingienne des munera pour les juges, justifiée par des préoccupations charitables et chrétiennes, se heurtait à un système d’échange dans lequel les cadeaux, dona et munera, n’étaient pas de la corruption proprement dite, mais faisaient partie des techniques sociales acceptées. L’échange de cadeaux confortait les positions respectives et la hiérarchie des pouvoirs et créait les liens indispensables à l’exercice du pouvoir et de la justice. Comme elle le rappelle, en refusant pendant leur mission de contrôle de la justice rendue dans le midi de la France vers 797-798, les missi « Théodulfe et Leidrad se heurtent à l’incompréhension de la population locale. Pour être acceptés comme juges par la population locale qui considère que les liens créés par le don sont gage d’une bonne justice, ils doivent accepter, malgré leurs réticences, de menus cadeaux" (p. 55-56). Sur ce point, voir aussi François Bougard, La justice dans le Royaume d’Italie, de la fin du VIIIe siècle au début du XIe siècle, Rome, 1995, p. 155-156.
(6) R. Le Jan, "Justice royale et pratiques sociales dans le Royaume franc au IXe siècle", art. cit., p. 53. Sur la justice carolingienne, voir aussi Rosamond McKitterick, "Perceptions of Justice in Western Europe in the Ninth and Tenth Centuries", La giustizia nell’alto medioevo (secoli IX-XI), op. cit., p. 1075-104 et Paul Fouracre, « Carolingian Justice : the Rhetoric of Improvement and Context of Abuse », La giustizia nell’alto medioevo (secoli V-VIII), op. cit., p. 771-803.
(7) R. McKitterick, "Perceptions of Justice in Western Europe in the Ninth and Tenth Centuries", art. cit., p. 1076 : "Sedulius, Paulinus and Jonas are reiterating what had become three key elements in the political ideology of justice and kingship by the second half of the ninth century : namely, firstly, that justice was a virtue and part of an ethical code ; secondly, that worldly justice was linked with divine justice and law as paving the path to eternal life with God, thirdly, that the practical exercise of justice was an essential element for political strenght and stability."
(8) Michel Sot, "Une spiritualité de la justice pour les grands laïcs carolingiens", Un Moyen Âge pour aujourd’hui. Mélanges offerts à Claude Gauvard, (dir.) J. Claustre et al., Paris, PUF, 2010, p. 189-198 (p. 198 pour la citation).
(9) Brenda Dunn-Lardeau, « La réinvention des Béatitudes dans le Manuel pour mon fils de Dhuoda », Le Moyen Âge t. 119 (2013), p. 649-664.
(10) Marie Anne Mayeski, Dhuoda : Ninth Century Mother and Theologian, Scranton, Univ. of Scranton Press, 1995, p. 109.
(11) "Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur." Comme on le voit, Isaïe ne cite que 6 dons, mais, 7 étant dans la Bible le chiffre de la totalité, on a ajouté, dès le IIIe siècle avant Jésus Christ, la piété à la liste. Les premiers exégètes chrétiens interpréteront ce texte comme une préfiguration du Christ.
(12) "1) Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux. 2) Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. 3) Heureux ceux qui sont dans le deuil, car ils seront consolés. 4) Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés. 5) Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. 6) Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. 7) Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. 8) Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des Cieux est à eux."
(13) De sermone Domini in Monte secundum Matthaeum libri duo, PL 34, col. 1229-1308.
(14) M. A. Mayeski, Dhuoda : Ninth Century Mother and Theologian, op. cit., p. 93-116. Sur le chapitre IV, 8 du Manuel, voir aussi son article, "The Beatitudes and the Moral Life of the Christian : Practical Theory and Biblical Exegesi in Dhuoda of Septimania", Mystics Quaterly, 18 (1992), p. 6-15.
(15) Sur la portée politique du Manuel, voir J. Meyers, Dhuoda, éd. cit., spéc. p. 54-74. On y trouvera aussi une bibliographie générale sur l’œuvre de Dhuoda, p. 179-91.
(16) Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux III, 1 (éd et trad.) de Ph. Lauer, revues par S. Glansdorff, Paris, Les Belles Lettres, 2012, p. 91.
(17) Sur les modalités de la communication dans le Manuel, qui prouvent que Dhuoda envisage d’autres lecteurs que Guillaume, cf. Robert Luff, "Schreiben im Exil : Der Liber manualis der fränkischen Adligen Dhuoda", Mittelateinisches Jahrbuch, 35 (2000), p. 249-66, spéc. p. 256, 258-259 et 264.
(18) Il s’agit dans ce passage de l’audace qui pousse Dhuoda à oser parler de Dieu, mais ainsi placée au début du premier chapitre du premier livre, on peut se demander si la phrase ne peut pas s’appliquer aussi à l’ensemble du Manuel.
(19) Janet Nelson, "Gendering Courts in the Early Medieval West", Gender in the Early Medieval World. East and West, 300-900, (dir.) L. Brubaker et J. H. M. Smith, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 2004, p. 185-97, spéc. 194-5.
(20) Régine Le Jan, « Dhuoda ou l’opportunité du discours féminin », Agire da donna. Modelli e pratiche di rappresentazione (secoli VI-X), (dir.) C. La Rocca, Turnhout, Brepols, 2007, p. 109-28, spéc. p. 119.
(21) On mesurera sans doute mieux l’importance politique du Manuel lorsque sera publiée la thèse que Martin Gravel a soutenue en 2010 à l’Université de Montréal, même s’il n’y est point question de la princesse de Septimanie : Distances, rencontres, communications. Les défis de la concorde dans l’Empire carolingien, Thèse de doctorat en histoire préparée sous la direction de Denyse Angers (Montréal) et Régine Le Jan (Paris), Université de Montréal, sept. 2010, 719 p. (à paraître chez Brepols ; en attendant la publication de cette thèse, on pourra en lire une présentation dans M. Gravel « Soutenance de thèse : Distances, rencontres, communications. Les défis de la concorde dans l’Empire carolingien. Thèse de doctorat et de Ph. D., Université de Montréal/Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 2010 », Memini, Travaux et documents, 13 (2009), p. 85-98). [Le livre est paru en 2012 chez Brepols avec le titre suivant : Distances, rencontres, communications. Réaliser l'empire sous Charlemagne et Louis le Pieux].
Dans cet ouvrage, Martin Gravel, en s’intéressant aux problèmes de la communication et des échanges dans l’Empire, a montré combien la concorde dépendait de la communication. La discorde se serait installée là où l’empereur ne parvenait pas à maintenir une relation forte avec les élites régionales. Les distances et les modalités des communications déterminaient la nature de leurs échanges, donc leurs limites et, de ce fait, le destin de l’Empire carolingien. Or dans cet Empire, le Sud-Ouest, pourtant devenu royaume d’Aquitaine, et spécialement la Marche hispanique et la Septimanie, que dirigeait le mari de Dhuoda, ont souffert de leur éloignement par rapport à la cour et de l’absence du prince. Au moment où Dhuoda écrit, Bernard n’est plus présent à la cour et sa position vis-à-vis de Charles est pour le moins ambiguë. Ce n’est sans doute pas un hasard si Dhuoda insiste tant pour que Guillaume suive attentivement les nombreuses conversations qui se tiennent au palais et dont il pourra beaucoup apprendre (III, 9).
(22) Sur l’abolition des distances par l’écrit, cf. aussi Sylvie Joye, "Les femmes et la maîtrise de l’espace au haut Moyen Âge", Les élites et leurs espaces : mobilité, rayonnement, domination (du VIe au XIe siècle), (dir.) P. Depreux et al., Turnhout, Brepols, 2007, p. 189-206, qui écrit (p. 195) justement à propos du Manuel : "[C’est] un livre engagé, à la fois personnel et politique, entre discours public et discours privé (…). Elle [Dhuoda] a intégré les intérêts de son mari et cherche à les défendre auprès du roi tout en les inculquant à son fils. Cet exemple illustre au mieux comment une famille, même éclatée géographiquement, peut défendre en commun ses intérêts." L’engagement politique de Judith, que Dhuoda avait dû bien connaître à Aix, et le réseau d’alliances que la reine avait étendu au-delà de la portée de ses déplacements pouvaient être pour la princesse une incitation et un exemple. Voir sur ce point l’article très éclairant de Martin Gravel, "Judith écrit, Raban répond. Premier échange d’une longue alliance", Ad libros ! Mélanges d’études médiévales offerts à Denise Angers et Joseph-Claude Poulin, (dir.) J.-F. Cottier et al., Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2010, p. 35-48.
(23) Adage inconnu par ailleurs.
(24) Voir ce qu’écrivait R. Le Jan, "Justice royale et pratiques sociales dans le Royaume franc au IXe siècle", art. cit., p. 84 : "Si l’on s'en tient au niveau des grands principes, et en particulier à la lutte contre la corruption, contre l’oppression, à la garantie des droits et au respect de la loi, les réformes judiciaires carolingiennes n’ont pas eu les résultats escomptés. Leur application aurait supposé une profonde évolution des mentalités, des pratiques sociales et de l’exercice du pouvoir. Or, dans leur grande majorité, les aristocrates ne pouvaient adhérer à l’idéal politique présenté dans les miroirs, car cela revenait à saper les bases sur lesquelles se fondait leur pouvoir. Les mécanismes judiciaires servaient aux puissants, et au roi lui-même, à conforter leur domination. Ils permettaient à tous de légaliser un ordre contesté par ailleurs."