Le Liber Manualis de Dhuoda : un monument de la juslittérature du IXe siècle
Speculum Matris : Duoda's Manual de Karen Cherewatuk
L'écrirure de soi dans le Manuel de Dhuoda de Jean Meyers
Fathers of Power and Mothers of Authority : Dhuoda and the Liber manualis de Martin A. Claussen
Dhudoa et la justice d'après son Liber Manualis (IXe siècle) de Jean Meyers
NOTES
L'ECRITURE DE SOI DANS LE MANUEL DE DHUODA
* Cet article a été initialement publié dans la revue Le Moyen Âge n°124-1 (2018), p. 9-25.
(1) Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Paris, Le Seuil, 1975, p. 14.
(2) Sur les miroirs carolingiens, voir Hans Hubert Anton, Fürstenspiegel und Herrscherethos in der Karolingerzeit, Bonn, 1968. Voir aussi sur l’histoire du genre Einar Már Jónsson, Le miroir. Naissance d’un genre littéraire, Paris, Les Belles Lettres, 1995 ; Le prince au miroir de la littérature politique de l’Antiquité aux Lumières, (dir.) F. Lachaud, L. Scordia, Mont-Saint-Aignan, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2007 et, sur sa délimitation et sur son contenu, A. Dubreucq, "La littérature des specula : délimitation du genre, contenu, destinataires et réception", Guerriers et moines. Conversion et sainteté aristocratiques dans l’Occident médiéval (IXe–XIIIe siècle), (dir.) M. Lauwers, Antibes, 2002, p. 17–39.
(3) Michel Rouche, "Miroirs des princes ou miroir du clergé ?", Commitenti e produzione artistico-letteraria nell’Alto Medioevo occidentale, Spolète, 1992, p. 341–367.
(4) Ibidem, p. 364.
(5) Sur ceux-ci, voir en particulier Franz Sedlmeier, Die laienparänetischen Schriften der Karolingerzeit. Untersuchungen zu ausgewählten Texten des Paulinus von Aquileia, Alkuins, Jonas von Orleans, Dhuodas und Hinkmars von Reims, Ars Una, Neuried, 2000.
(6) Sur la théologie de Dhuoda, voir en particulier Marie Anne Mayeski, Dhuoda : Ninth Century Mother and Theologian, Chicago, Scranton, 1995, qui a montré que le Manuel était une oeuvre basée sur une théologie pratique originale.
(7) Sur la prière comme fonction sociale, voir Michel Lauwers, "La prière comme fonction sociale dans l’occident médiéval (Ve–XIIIe siècle)", La prière en latin, de l’Antiquité au xvie siècle. Formes, évolutions, significations, (dir.) J. F. Cottier, Turnhout, 2006, p. 209–227, spéc. p. 218–220 (consacrées à la prière chez Dhuoda).
(8) Ces lettres sont conservées dans la Vita Desiderii (éd. Bruno Krusch, Leipzig, 1902, p. 569–570) et rappellent parfois de façon plus brève et moins colorée les propos de Dhuoda. Sur celles-ci, voir Peter Dronke, Women Writers of the Middle Ages. A Critical Study of Texts from Perpetua († 203) to Marguerite Porete († 1310), Cambridge, 1984, p. 29.
(9) Yuri Bessmertny, "Le monde vu par une femme noble au IXe siècle. La perception du monde dans l’aristocratie carolingienne", Le Moyen Âge, n° 93 (1987), p. 161–184.
(10) Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux, (éd. et trad.) P. Lauer, rev. S. Glansdorff, Paris, 2012, p. 91.
(11) Sur l’importance de la réception pour déterminer le sens des œuvres, voir l’ouvrage classique de Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978.
(12) Simone Follet, "À la découverte de l’autobiographie", L’invention de l’autobiographie d’Hésiode à saint Augustin, (dir.) M. F. Baslez, P. Hoffmann, L. Pernot, Paris, 1993, p. 326.
(13) Georg Misch, Geschichte der Autobiographie, t. 2, Francfort-sur-le-Main, 1955, p. 472. Sur cette oeuvre singulière, voir Pierre François Moreau, "Une théorie de l’autobiographie : Georg Misch", Revue de synthèse, t. 117 (1996), p. 377–389.
(14) Georges Gusdorf, Lignes de Vie, t. 1, Les écritures du moi, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 291, récuse en effet l’idée de "genre littéraire" pour les "écritures du moi" : "Réduire les écritures du moi à des genres littéraires, c’est ne pas avoir reconnu qu’elles ont une fonction spécifique au sein même de l’être humain, dont elles exposent certains affleurements, chair à vif de l’esprit incarné dans la lettre [...]. La parole de l’homme à lui-même, la parole de l’homme en quête de son identité, met en cause l’ontologie de la réalité humaine ; l’usage littéraire du langage demeure cantonné à la périphérie de l’essentiel dont l’écarte une force centrifuge irrésistible. L’homme de lettres n’est pas l’homme de l’être."
(15) Ibidem, p. 57.
(16) J’ai bien entendu exclu toutes les marques de première personne présentes dans les nombreuses citations du texte.
(17) Sur la dimension autobiographique de l’Historia calamitatum, voir João Gomes, Pierre Abélard et la question de l’individu : conscience et mémoire individuées, BUCEMA [En ligne], hors-série n° 2, 2008, spéc. § 15–33 (Historia calamitatum), URL : https://journals.openedition.org/cem/10602 ; Étienne Wolff, "Abélard et l'autobiographie", Pierre Abélard. Colloque international de Nantes, (dir.) J. Jolivet, H. Habrias, Rennes, 2003, p. 41-48.
(18) Voir à ce sujet Etienne Évrard, "L’émergence du narrateur principal dans l’œuvre de Salluste", Présence de Salluste, (dir.) R. Poignault, Tours, 1997, p. 13–25. Contrairement aux relevés d’É. Évrard basés sur les données informatiques du LASLA de Liège, les miens ont été faits à la main, ce qui n’exclut donc pas une légère marge d’erreur, qui ne devrait cependant pas mettre en doute les conclusions tirées de mes tableaux comparatifs.
(19) Franco Cardini, "Dhuoda la mère", Les femmes au Moyen Âge, (dir.) F. Bertini, F. Cardini, C. Leonardi, M. T. Fumagalli Beonio Brocchieri, Paris, Hachette, 1991, p. 113.
(20) Ibidem, p. 88.
(21) Voir, pour ne prendre qu’un exemple, le beau livre Le sujet des émotions au Moyen Âge, (dir.) P. Nagy, D. Boquet, Paris, Beauchesne, 2008 (en particulier l’article des éditeurs : "Pour une histoire des émotions. L’historien face aux questions contemporaines", p. 15–51). Dhuoda est d’ailleurs une des sources qu’utilise P. Dinzelbacher dans son article sur le rôle de la femme et des fils dans l’histoire des émotions et de l’amour (Peter Dinzelbacher, "La donna, il figlio e l’amore. La nuova emozionalità del XII secolo", Il secolo XII. La "renovatio" dell’Europa christiana, (dir.) G. Constable, Bologne, 2003, p. 207–252).
(22) On trouvera à ce sujet des remarques particulièrement justes dans L. Duret, "Martial et la deuxième Épode d’Horace : quelques réflexions sur l’imitation", Revue des Études latines, t. 55 (1977), p. 173–192.
(23) C’est en effet le constat dressé par G. Misch, Geschichte der Autobiographie, op. cit., p. 572. Selon certains, ce serait toujours le cas dans les textes médiévaux où l’individu dit encore "je" en pensant "nous" (voir par ex. Brigitte Miriam Bedos-Rezak, Dominique Iogna-Prat, L’individu au Moyen Âge. Individuation et individualisation avant la modernité, Paris, 2005). Voir aussi Caroline Walker Bynum, Jesus as Mother. Studies in the Spirituality of the High Middle Ages, Berkeley, 1982, p. 87, qui soutient que, lorsque l’homme médiéval se tourne vers lui-même, il ne s’attend pas à retrouver un ego particulier, unique et différent des autres, mais la nature humaine faite à l’image de Dieu, autrement dit le lien qu’il a avec les autres hommes.
(24) "En l’heureuse onzième année de l’empire de notre seigneur Louis [824], régnant alors par la faveur du Christ, l’année des cinq jours concurrents, le 3 des calendes de juillet [29 juin], au palais d’Aix, j’ai été donnée en mariage comme épouse légitime à mon seigneur Bernard, ton père. C’est encore sous ce règne, en la treizième année [826], le 3 des calendes de décembre [29 novembre], qu’avec l’aide de Dieu, comme je le crois, tu es né de moi en ce monde, toi mon fils premier-né tant désiré.
C’est dans la succession et l’aggravation des malheurs de ce misérable monde, au milieu des nombreuses vicissitudes du royaume, que l’empereur nommé ci-dessus a suivi le chemin commun à tous. En effet, durant la 28e année de son règne [840], il acquitta prématurément la dette de sa vie terrestre. Après sa mort, l’année suivante, naquit ton frère, le 11 des calendes d’avril [22 mars 841], dans la ville d’Uzès : le second après toi, il est issu de mes entrailles, par la miséricorde de Dieu. Il était encore tout petit et n’avait pas reçu la grâce du baptême quand Bernard, votre seigneur et père à tous deux, le fit amener auprès de lui en Aquitaine, accompagné par Elefantus, évêque de la cité, et par d’autres de ses fidèles.
Mais après être restée longtemps loin de votre présence, en cette ville où je réside par l’ordre de mon seigneur, joyeuse désormais de ses succès, j’ai pris soin, poussée par le regret de votre absence à tous deux, de te faire transcrire et remettre ce petit volume, qui est à la mesure de la petitesse de mon intelligence.
Malgré le nombre des inquiétudes qui me préoccupent, celle de te voir un jour de mes yeux est pourtant la seule qui soit au premier plan selon Dieu, si tel est le bon plaisir du Seigneur. Je le voudrais certes, si je tenais de Dieu quelque vertu ; mais, puisque le salut est loin de moi, pécheresse que je suis [voir Ps. 118, 155], je ne puis que le vouloir, et mon cœur languit fort dans ce désir [voir Job 30, 16].
J’ai appris que Bernard ton père t’a "recommandé" entre les mains de notre seigneur le roi Charles ; je t’invite à t’acquitter avec une parfaite bonne volonté de tes nobles devoirs. Cependant, comme dit l’Écriture : "cherche d’abord en tout le royaume de Dieu, et le reste te sera alors donné par surcroît"[Matth. 6, 33] : tout ce qui est nécessaire au profit de ton âme et de ton corps."
Je cite d’après Dhuoda, Manuel pour mon fils, (éd.) P. Riché, trad. B. de Vregille, C. Mondésert, Paris, Le Cerf, 1997, (réimpr. 2e éd. revue et augmentée, 1991 [1re éd., 1975], avec bibliographie complémentaire), p. 84–87. La traduction a parfois été retouchée comme je l’avais fait dans ma lecture de Dhuoda pour la collection de "L’Abeille" : Dhuoda, Manuel pour mon fils, (éd.) J. Meyers, Paris, 2012.
(25) P. Lejeune, Le pacte autobiographique, op. cit., p. 14.
(26) Ibidem, p. 24.
(27) G. Misch, Geschichte der Autobiographie, op. cit., p. 9 ; P. Lejeune, Le pacte autobiographique, op. cit., p. 14.
(28) Voilà terminées les paroles de ce petit livre. Je les ai dictées de tout mon cœur et les ai fait soigneusement transcrire à titre de modèle pour ta formation.
Je désire et je souhaite que, lorsqu’avec l’aide de Dieu tu auras atteint l’âge d’homme, tu organises ta maison comme il convient, dans la dépendance et la régularité. Et, comme il est écrit de tel personnage : "tel un très tendre vermisseau dans le bois" [II Sam. 23, 8], acquitte-toi de tous les devoirs de ta vie publique avec méthode et fidélité.
Parviendrai-je à cette époque pour voir cela de mes yeux ? Je n’en ai aucune assurance ; aucune selon mes mérites, aucune selon mes forces. Je suis brisée dans les remous par mes peines et ma fragilité. Pourtant, même si tel est mon état, tout reste possible au Tout-Puissant. Car il n’est pas au pouvoir de l’homme de faire tout ce qu’il veut ; tout ce qu’il peut, c’est Dieu qui le veut et le permet. Et selon les termes de l’Écriture : "cela ne dépend pas de celui qui court ou de celui qui veut, mais de Dieu qui fait miséricorde" [Rom. 9,16]. Alors, me confiant en lui, je ne dis rien d’autre, sinon : "Comme il le voudra dans le ciel, ainsi soit-il !" [I Macc. 3, 60] Amen.
La douceur de mon si grand amour et le désir de ta beauté m’ont fait comme m’oublier moi-même. Je désire maintenant, portes fermées [Jn 20, 26], rentrer en moi-même. Et si je ne suis pas digne d’être mise au nombre de ceux qui sont cités plus haut, je te demande pourtant de prier sans cesse pour le remède de mon âme et de mettre cette intention au nombre des autres, innombrables.
Tu n’ignores pas combien, du fait de mes infirmités continuelles et de certaines circonstances – à l’image de ce que dit l’Apôtre : "Dangers de la part de ceux de ma race, dangers de la part des gentils", etc. [II Cor. 11, 26] – j’ai eu à souffrir en mon corps fragile pour ces maux et d’autres analogues, bien dus à mon peu de mérites. Avec l’aide de Dieu et grâce à ton père Bernard, j’ai échappé avec assurance à tous ces dangers, mais à présent mon esprit réfléchit sur ces libérations. Dans le passé, je suis demeurée souvent négligente pour ce qui est de la louange divine, et au lieu de bien m’acquitter des sept heures liturgiques, je me suis montrée lâche sept fois sept fois [voir Gen. 7, 2] ! C’est pourquoi, d’un cœur humble et de toutes mes forces, je demande de trouver mon plaisir à implorer pour mes péchés et mes offenses la miséricorde du Seigneur : qu’il daigne ainsi me faire monter au ciel, tout appesantie et écrasée que je suis.
Tant que tu me voies en vie ici-bas, efforce-toi, d’un cœur attentif, à si bien pratiquer, non seulement les veilles et les prières, mais encore les aumônes aux pauvres, que je mérite, une fois libérée corporellement des liens de mes péchés, d’être accueillie sans réserve par la compassion du Juge compatissant.
Dès maintenant, ta prière fréquente, ainsi que celle des autres, m’est nécessaire. Elle le sera davantage et à plus forte raison par la suite, si, comme je le crois, ce moment-là doit bien vite arriver. Dans ma crainte, vive et douloureuse, de ce que me réserve l’avenir, mon esprit est terriblement secoué de toutes parts. Comment pourrai-je être libérée à la fin ? Nulle certitude ne me vient de mes mérites. Pourquoi ? Parce que j’ai péché en pensée comme en paroles. Les paroles inutiles elles-mêmes équivalent à la mauvaise action. Mais même ainsi, jamais je ne désespérerai de la miséricorde de Dieu : je n’en désespère pas et n’en désespérerai jamais. Et pour me permettre de parvenir un jour au réconfort, je ne laisse personne après moi qui soit semblable à toi, personne qui soutienne ma cause comme toi – et comme beaucoup grâce à toi, noble enfant.
Pour défendre les intérêts de mon seigneur et maître Bernard, et afin que l’aide que je lui dois dans la Marche et en bien des régions ne se détériorât pas et qu’il ne se séparât pas de toi et de moi, comme on voit d’autres le faire, je me suis, je le sais, lourdement endettée. Pour répondre à de nombreux besoins, j’ai souvent emprunté de grandes sommes, non seulement à des chrétiens, mais aussi à des Juifs (Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd.cit. Riché, p. 353, n. 2, ce serait là, selon Bernhard Blumenkranz, Juifs et chrétiens dans le monde occidental [430–1093], Paris, Ecole pratique des Hautes-Etudes, 1960, p. 346, n. 255, une des premières mentions de l’usure pratiquée par les Juifs dans le Midi de la France). Autant que je l’ai pu, je les ai remboursés, et autant que je le pourrai, je continuerai à les rembourser. Mais si après mon décès quelque chose restait à acquitter, je te prie et te supplie de t’enquérir avec soin de mes créanciers. Et quand tu les auras retrouvés, veille à ce qu’absolument tout soit acquitté, soit sur mes biens, s’il en reste, soit même sur les tiens, ceux que tu possèdes et ceux qu’avec l’aide de Dieu tu acquerras justement.
Qu’ajouter encore ? Pour ton petit frère, je t’ai averti ci-dessus et t’avertis (je lis ici admoneo [admonui] supposerait que l’avertissement a été donné plusieurs fois déjà, alors qu’on ne le trouve plus haut qu’en I, 7, 25 ; admonui est à mon avis une faute entraînée par le admonui du syntagme précédent]) une fois encore de ce que tu dois faire à son égard. Ce que je demande, c’est que lui aussi, s’il parvient à l’âge d’homme, veuille bien prier pour moi. Dès maintenant, comme si vous étiez ensemble, je vous supplie tous les deux de bien vouloir présenter fréquemment pour moi l’offrande du sacrifice et l’oblation de l’hostie.
Ainsi, lorsqu’il plaira à mon Rédempteur de me rappeler de ce monde, il daignera me préparer le rafraîchissement ; et si cela se peut, grâce à tes bonnes prières et à celles des autres, celui qui est appelé Dieu me fera passer au ciel d’en-haut, dans la compagnie des saints.
Ici s’achève ce manuel. Amen. Grâces soient rendues à Dieu." Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. cit., Riché, p. 346–353 (X, 3-4).
(29) C’est à partir de ce genre de pages que j’avais tenté, voici quelques années, de dresser un portrait intime de Dhuoda : Jean Meyers, "La comtesse Dhuoda et son Liber Manualis (IXe siècle) : portrait d’une mère dans la solitude", Autour de Nîmes et de sa région, (dir.) C. Bernié-Boissard, D. Julien, Paris, 2004, p. 191-224. Depuis lors, voir aussi le petit livre de Colette Dumas, Dhuoda. Sa vie, sa personnalité à travers son Manuel pour mon fils, Nîmes, Lucie éditions, 2012.
(30) Sur le genre, voir Charles Favez, La consolation latine chrétienne, Paris, Vrin, 1937, et sur les précédents païens Alain Michel, Sagesse et humanité, La consolation, éd. E. Huisman-Perrin, Paris, 1997, p. 124–137.
(31) L’œuvre a connu récemment une heureuse réédition en version bilingue dans la collection du Livre de poche : Boèce, La Consolation de Philosophie, (éd.) C. Moreschini, (trad.) É. Vanpeteghem, Paris, 2008.
(32) « Je serais heureuse si, en mon absence, ce livre, par sa présence, pouvait te remettre en esprit, lorsque tu le liras, ce que tu dois faire par amour pour moi. » Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. cit. Riché, p. 73 (Incipit 8–10).
(33) Ibidem, p. 96, 116, 298.
(34) Ibid., p. 66, 68, 70, 81, 84, 100, 114, 116, 172, 286, 304, 321, 348.
(35) Voir Jonas, De institutione regia, (éd.) A. Dubreucq, Paris, 1995, p. 188 (III, 54–55) et Alcuin, De virtutibus et uitiis, (éd.) J.P. Migne, P. L., t. 101, Paris, 1841, col. 616 C–D.
(36) Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. cit. Riché, p. 80–82.
(37) "Que te dire de plus ? Dhuoda est toujours là qui t’exhorte, mon fils, et pour le jour où je viendrai à te manquer, ce qui arrivera, tu possèdes là un aide-mémoire, ce petit livre de morale : tu pourras ainsi comme dans le reflet d’un miroir me regarder en lisant avec les yeux du corps et de l’esprit et en priant Dieu ; quant aux devoirs qu’il t’appartient de me rendre, tu peux les y trouver au long. Mon fils, tu auras des maîtres qui te donneront des leçons plus nombreuses et d’une plus grande utilité, mais non dans les mêmes conditions, ni le coeur aussi brûlant que je le fais, moi, ta mère, ô mon fils premier-né." Ibidem, p. 114–116.
(38) Voir spéc. M.A. Claussen, "Fathers of Power and Mothers of Authority : Dhuoda and the Liber Manualis", French historical Studies, t. 19 (1996), p. 785–809 ; Régine Le Jan, "Dhuoda ou l’opportunité du discours féminin," Agire da donna. Modelli e pratiche di rappresentazione (secoli VI –X), (dir.) C. La Rocca, Turnhout, Brepols, 2007, p. 109–128 et "The Multiple Identities of Dhuoda", Ego Trouble. Authors and Their Identities in the Early Middle Ages, (dir.) R. Corradini, M. B. Gillis, R. McKitterick, I. von Reenswoude, Vienne, 2010, p. 211–219 ; J. Meyers, Dhuoda éd. cit, p. 54–66.
(39) La formule est de Susanne Fonay Wemple, Women in Frankish Society. Marriage and the Cloister 500 to 900, Philadelphie, 1981, p. 188.
(40) A. Mayeski, Dhuoda : Ninth Century Mother and Theologian, op. cit., p. 22. A. Guiducci, Medioevo inquieto. Storia delle donne dall’VIII al XV secolo d. C., Florence, 1990, p. 27, écrit de même que Dhuoda "s’est approprié un modèle littéraire masculin".
(41) Sur les modalités de la communication dans le Manuel, qui prouvent que Dhuoda envisage d’autres lecteurs que Guillaume, voir R. Luff, "Schreiben im Exil : Der Liber manualis der fränkischen Adligen Dhuoda, Mittelateinisches Jahrbuch, t. 35 (2000), p. 249–266, spéc. p. 256, 258–259 et 264.
(42) Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. cit. Riché, p. 96. Il s’agit dans ce passage de l’audace qui pousse Dhuoda à oser parler de Dieu, mais ainsi placée au début du premier chapitre du premier livre, on peut se demander si la phrase ne peut pas s’appliquer aussi à l’ensemble du Manuel.
(43) Janet Nelson, "Gendering Courts in the Early Medieval West", Gender in the Early Medieval World. East and West, 300–900, (dir.) L. Brubaker, J. H. M. Smith, Cambridge, 2004, p. 185–197, spéc. 194–195.
(44) R. Le Jan, "Dhuoda ou l’opportunité du discours féminin" art. cit., p. 109–128, spéc. p. 119.
(45) Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. cit., Riché, p. 80. Citation de Sag. 10, 21.
(46) P. Dronke, Women Writers of the Middle Ages. A Critical Study of Texts from Perpetua († 203) to Marguerite Porete († 1310), op. cit., p. 49, dénonce lui aussi l’erreur qui consisterait à ne voir dans ces déclarations que des "expressions formulaires de l’humilité et de la piété chrétiennes " .
(47) Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. cit., Riché, p. 86. Voir aussi ibidem, p. 114 (I, 6, 31–32), "toute vile que je suis par la petitesse et les limites de mon entendement " (licet uilis secundum paruitatem et capacitatem sensus intelligentiae meae) ; 118 (II, 1, 3–5), "Que suis-je capable d’écrire pour toi dans cette section de mon petit livre ? Je n’ose ni ne puis." (Quid tibi in hac particula huius libelli ualeam conscribere, nec audeo nec possum) ; 286 (VI, 1, 5–6), "selon la petitesse de mon entendement" (secundum paruitatem sensus intelligentiae meae).
(48) Respectivement Ibid., p. 86, 350, 110. Voir aussi Ibid., p. 120 (II, 1, 47), "dans ce petit ouvrage dû à ma petitesse" (in hoc opusculo paruitatis meae) ; 140 (III, 2, 8–9), "sur le conseil de ma petitesse" (secundum admonitionem paruitatis meae) ; 286 (VI, 1, 17), "toute petite que je suis" (tanquam paruula).
(49) Ibid., p. 116. Voir aussi Epigr. 28 et III, 5, 88 cités un peu plus bas.
(50) Respectivement Ibid., p. 104, 110, 126, 74, 158, 220, 96.
(51) Ibid., p. 100 (I, 3, 6–8) : Tu ergo humiliare te ipsum frequens ut exalteris ab illo semper. Ipse enim meum et tuum cognoscit figmentum et incompositum nostrum. Voir Ps. 102, 14.
(52) Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. cit. Riché, p. 208–210 (IV, 3, 5–6) : Hanc [superbiam] caue et fuge, et contra huius pestiferae mortalitatis morbum magnam adibe certam in omnibus humilitatem.
(53) Autres exemples en Ibid., p. 96–102 (I, 1, 9–23 ; 2, 3–21 ; 3, 6–10), 202–204 (IV, 1, 59–67).
(54) Voir en particulier sur ce point S. Gäbe, "Schwaches Weib und starker Schrei". Schriftstellerisches Selbstverständnis und Exordialtopik bei lateinischen Autorinnen des frühen Mittelalters", Archiv für Kulturgeschichte, t. 85 (2003), p. 437-469.
(55) Voir à ce sujet Katrien Heene, The Legacy of Paradise. Marriage, Motherhood and Woman in Carolingian Edifying Literature, Francfort-sur-le-Main, 1997, p. 254–257.
(56) Voir Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. cit., Riché, p. 36 (et les 28 citations relevées dans l’index scripturaire à la fin du volume, p. 376).
(57) Ibid., p. 34.
(58) P. Dronke, Women Writers of the Middle Ages. A Critical Study of Texts from Perpetua († 203) to Marguerite Porete († 1310), op. cit., p. 38–39. Voir aussi, depuis Dronke, la thèse de Rebecca Anne Walker, Unadorned by Silence. Rereading Obedience in the Writing of Perpetua, Dhuoda, and Hildegard of Bingen, Master’s Thesis, Portland State University, 1993, p. 58–65 ("Dhuoda: une mère militante avec un programme subversif"), que je n’ai malheureusement pas pu lire.
(59) R. Le Jan, "Dhuoda ou l’opportunité du discours féminin" art. cit., p. 127.
(60) F. Cardini, "Dhuoda la mère", art. cit., p. 102.
(61) R. Luff, "Schreiben im Exil : Der Liber manualis der fränkischen Adligen Dhuoda, ,art. cit., p. 263, estime lui aussi que rien ne justifie la spéculation de Cardini.
(62) Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. cit. Meyers, spéc. p. 54–67.
(63) Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. cit. Riché, p. 230.
(64) Ibid., p. 150 (III, 4, 26–36) : "Cette fidélité que tu gardes [envers le roi], garde-la toute ta vie, de corps et d’esprit. […] Que jamais, pas une fois, la folie de l’infidélité ne te fasse commettre un fâcheux affront ; que jamais ne naisse ni ne grandisse en ton cœur l’idée d’être infidèle à ton seigneur en quoi que ce soit. De ceux qui agissent ainsi il est en effet parlé durement et honteusement ? Mais je ne pense pas que ce doive être le cas pour toi ni pour tes compagnons d’armes : jamais, dit-on, cette manière de faire ne s’est vue chez tes aïeux ; elle n’a pas existé, elle n’existe pas, elle n’existera pas à l’avenir."
(65) Dans les prières qu’elle demande à son fils de formuler pour son père, Dhuoda lui recommande de demander à Dieu de donner à Bernard "durant toute sa vie, paix et concorde avec tous, s’il se peut" (ut det illi Deus, tempore dum uiuit, pacem et concordiam, si fieri potest, cum omnibus). Ibid., p. 310 (VIII, 7, 4–6).
(66) P. Dronke, Women Writers of the Middle Ages. A Critical Study of Texts from Perpetua († 203) to Marguerite Porete († 1310), op. cit., p. 36 va jusqu’à écrire : "aucun des principaux auteurs carolingiens, à mes yeux, n’arrive comme Dhuoda à nous montrer un esprit et une présence d’une individualité aussi sensible" ("none of the major Carolingians, in my view, can match Dhuoda in showing us a mind and presence of such sensitive individuality").
(67) M. F. Baslez, P. Hoffmann, L. Pernot, "Avant-propos", L’invention de l’autobiographie, op. cit., p. 10. Voir aussi ce qu’écrit dans ce même volume B. Schouler, "Libanios et l’autobiographie tragique", p. 323, à propos de Libanios, chez qui l’autobiographie, «"oin de tendre […] à se fermer sur elle-même, comme le dit Misch [Geschichte der Autobiographie, op. cit., p. 572], et à se détourner du monde extérieur, ne se dissocie pas de l’activité civique. Elle propose aux contemporains et aux générations à venir l’exemple d’une vie tout entière consacrée à un combat, celui qu’a mené Libanios pour que survivent deux valeurs clefs de l’hellénisme, le dévouement civique et la culture littéraire."
(68) Son mari Bernard, accusé de trahison par Charles le Chauve, fut mis à mort à Toulouse en 844 et son fils aîné Guillaume, uni aux rebelles aquitains fidèles à la mémoire de Pépin et de Bernard, après la prise de Barcelone et d’Ampurias, fut capturé et décapité en 849 à l’âge de 22 ans sur l’ordre d’un roi qui n’avait que trois ans de plus que lui. Quant au dernier né, Bernard, il eut une carrière mouvementée et suivit d’abord son père et son frère en tentant d’assassiner Charles le Chauve en 864, mais il mourut, semble-t-il, de sa belle mort vers 886.